Le photographe Jacques Schneider lance un nouveau projet participatif, «De Lëtzebuerger Fändel», où il propose à tout un chacun d’être représenté dans le drapeau national.
Le drapeau, tout comme l’hymne, les armoiries ou encore la devise d’un pays, prend souvent des relents nationalistes. Symbole martial, de guerre, il sert trop souvent à diviser, séparer, différencier. C’est donc à contre-courant que le photographe et artiste grand-ducal Jacques Schneider lance son nouveau projet artistique, «De Lëtzebuerger Fändel» (en français, «le drapeau luxembourgeois»).
Son projet crée une sorte de troisième drapeau pour le Luxembourg. Après le drapeau civil et le drapeau international, voici le drapeau du peuple. Dans sa création, l’artiste reprend le tricolore, sans le Roude Leiw, sans référence à la dynastie grand-ducale, mais, au contraire, des dizaines de milliers de portraits de quidams.
«L’idée m’est venue en janvier, au moment de tous ces évènements sur la dyslexie, explique Jacques Schneider. Je me suis rendu compte qu’un dyslexique a des difficultés pour apprendre les langues. Ce qui veut dire que même en vivant au Luxembourg, il ne peut pas, à l’heure actuelle, devenir luxembourgeois. À travers cette action, j’ai envie de donner la possibilité à tous les amoureux du Luxembourg d’être représentés dans le drapeau national et cela qu’ils aient ou non la nationalité luxembourgeoise.»
En résumé, l’artiste propose de tirer le portrait de plusieurs milliers de gens lambda – au départ il en espérait 10 000, mais ce chiffre déjà atteint, il imagine désormais entre 30 000 et 50 000 participants. Des portraits «en noir et blanc, sans lumière artificielle, sobres où les gens pourront poser comme ils l’entendent à partir du moment où il n’y a rien de choquant, insultant ou négatif». Une fois toutes ces photos prises à travers des shootings organisés dans tout le pays entre le 1er avril et le 15 mai, l’artiste, dont l’œuvre utilise souvent le «Kritzel» («gribouillage»), compte «gribouiller» les arrière-plans de tous ces portraits en rouge, blanc ou bleu, pour enfin les assembler et créer ainsi de gigantesques drapeaux tricolores.
Là encore, une dizaine étaient prévus au départ, mais «vu l’enthousiasme suscité par le projet», il parle désormais de 25 à 30 drapeaux pouvant aller jusqu’ à 8×16 m pour le plus grand. Selon les dimensions, ils seront en tissu avec les photos cousues, en toile avec des collages ou encore des reprographies numériques. Ces drapeaux pourront ensuite être exposés dans des lieux public comme la gare de Luxembourg, dans différentes villes du pays et même des ambassades à l’étranger. «Et puis sur les grands boulevards pour orner la fête nationale».
Le point d’orgue, la fête nationale
Les 22 et 23 juin seront d’ailleurs les firmaments de ce «Lëtzebuerger Fändel». «Tous les ans pour la fête nationale, il y a une tribune officielle dans laquelle prennent place la famille grand-ducale, des officiels et des diplomates. Pour moi, c’est important d’imaginer qu’un jour, dans cette tribune, il puisse y avoir le peuple. Que tout un chacun, peu importe sa position dans la société, puisse avoir le même rôle, la même importance», reprend Jacques Schneider. Pour lui, «le drapeau est apolitique, areligieux, sans étiquette», bref, «quelque chose qui appartient au peuple».
Les portraits pris au cours de ce projet devraient être reproduits à une taille de 10×15 cm, histoire que les participants puissent se reconnaître aisément. Mais nul ne saura sur quel drapeau se trouvera un portrait en particulier. «Chaque drapeau sera différent» souligne donc l’artiste, «les gens ne pourront choisir ni la couleur qu’ils auront ni le lieux où se trouvera sa photo. Elle sera peut-être dans un drapeau exposé à Washington ou peut-être à la gare de Luxembourg.J’aime bien quand les choses nous échappent un peu.»
Les tirages originaux des photos devraient ensuite être déposés soit au CNA, soit dans un musée de la capitale, assure le photographe, et «servir peut-être dans le futur à représenter le « visage » du Luxembourg en 2016. Le visage d’un pays avec 170 nationalités et 550 000 habitants». Quant aux drapeaux, après la fête nationale et les quelques expositions possibles dans le pays ou dans les ambassades, ils devraient quitter les frontières nationales. «L’idée serait de pouvoir continuer à les exposer à travers le monde. Parce que finalement, je me suis rendu compte que le public étranger a aussi souvent envie de pouvoir découvrir ce qu’est vraiment le Luxembourg», un nation branding pris en charge, comme tout le reste du projet, par l’auteur lui-même.
Pablo Chimienti