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«Le Dieu du carnage» de Yasmina Reza au TNL jusqu’au 7 avril


Dans la pièce, en effet, les deux familles semblent penser que leurs enfants respectifs sont, comme eux, droits, tolérants, humanistes... parfaits quoi! C'est comme ça qu'ils se voient, c'est donc comme ça qu'ils les voient également! (photo stéphanie buchler)

[THÉÂTRE] Frank Hoffmann met en scène la pièce Le Dieu du carnage de Yasmina Reza, en français, dans «son» TNL. À découvrir à partir de ce jeudi soir.

Sans être rares, les pièces en français au TNL restent minoritaires. Frank Hoffmann, le directeur des lieux et directeur des Ruhrfestspiele – un des plus importants festivals de théâtre d’Allemagne – de 2005 jusqu’à l’été dernier, étant plus porté vers le théâtre allemand. Mais libéré de ses obligations à Recklinghausen, le Luxembourgeois semble vouloir contrebalancer ces longues années passées à travailler avant tout dans la langue de Goethe par des productions dans la langue de Molière.

«Ça m’a manqué de travailler en français depuis quelques années», avoue le metteur en scène. «Je voulais mettre en scène un Molière. Je voulais une comédie en français, et comme j’aime beaucoup Molière, j’ai lu et relu beaucoup de ses pièces, mais je n’ai pas trouvé ce que je cherchais. J’ai alors commencé à lire et relire presque toutes les pièces de Yasmina Reza, surtout ses deux chefs-d’œuvre, Art et Le Dieu du carnage. Et j’ai trouvé que cette dernière, même si elle a été écrite en 2007, est non seulement déjà un classique, mais me donne aussi une très belle opportunité de décrire la société d’aujourd’hui. Pas seulement la société parisienne, où la pièce se joue, mais aussi notre société luxembourgeoise», ajoute-t-il.

La pièce, qui dans une production anglophone a remporté le Tony Award américain de la meilleure pièce et le Laurence-Olivier Award britannique de la meilleure comédie, met en scène deux couples bourgeois. Deux couples dont les enfants se sont battus plus tôt à l’école. Ferdinand Reille a tapé avec un bâton Bruno Houillé. Il lui a même cassé quelques dents! À la demande des parents de la victime, les deux couples de parents se retrouvent donc pour parler de cet accrochage, pour régler la situation sur le plan tant pratique qu’éducatif. Tout dans leurs paroles, dans leurs geste est tolérance, ouverture d’esprit, excuses réciproques.

Une adaptation au cinéma de Roman Polanski

Mais rapidement, en lieu et place d’un traité de paix entre gens éduqués et polis, c’est à une véritable guerre de positions, un travail de sape auxquels le public va avoir droit. Au départ, chaque couple s’oppose à l’autre, normal! Mais les alliances naturelles, familiales, vont vite éclater et laisser place à des alliances de circonstance, d’intérêts. Tantôt des femmes pour critiquer leurs hommes. Tantôt des hommes pour s’en prendre à leurs femmes. Régulièrement à trois contre un.

Cette évolution constante et surprenante tiendra le spectateur en haleine jusqu’à la fin avec des ruptures nombreuses, des changements de circonstances constants au fur et à mesure que les sacs se vident des reproches gardés pour soi pendant des années et que chacun tombe son masque social pour laisser parler l’animal égoïste qui est en lui.

Les fans de Roman Polanski risquent de trouver le récit familier. Le cinéaste a adapté la pièce en 2011 dans Carnage avec Jodie Foster, Kate Winslet, Christoph Waltz et John C. Reilly. Le film a été présenté à la Mostra de Venise et a été lauréat du César de la meilleure adaptation, écrite à quatre mains par Roman Polanski et Yasmina Reza.

«Avec cette pièce, Yasmina Reza entre les pieds joints à l’intérieur des familles pour décrire les conflits familiaux et finalement la très grande solitude de tout un chacun», reprend Frank Hoffmann. Il poursuit : «Reza décrit une situation qui, depuis l’écriture de la pièce en 2007, s’est encore aggravée, dans le sens qu’aujourd’hui les parents ont plus que jamais tendance à surprotéger les enfants et en même temps à les confier à d’autres. C’est contradictoire. Et ça fait que quand, le soir, le petit dieu rentre à la maison, il est encore plus chouchouté et que, quand il fait des bêtises, les parents ont toujours tendance à lui trouver des excuses, alors qu’on ne devrait pas nécessairement.»

Dans la pièce, en effet, les deux familles semblent penser que leurs enfants respectifs sont, comme eux, droits, tolérants, humanistes… parfaits quoi! C’est comme ça qu’ils se voient, c’est donc comme ça qu’ils les voient également!

Cette évolution soulignée par le metteur en scène par rapport à la pièce écrite il y a dix ans, il a bien l’intention qu’on la remarque sur scène. «Le texte est celui de Yasmina Reza, tel quel. Mais je pense que nous arrivons à prendre une distance par rapport à lui, à le réinventer», souligne-t-il.

Sur scène, Valérie Bodson, François Camus, Jeanne Werner et Serge Wolff évolueront autour d’une table et au milieu de quelques masques africains. Un décor très bobo, signé Christoph Rasche, laissant beaucoup de place aux acteurs.

Ce Dieu du carnage est une production grand public pour laquelle le TNL a prévu non seulement un dossier pédagogique pour les lycées mais surtout dix représentations en tout, contre six habituellement pour les créations maison. Dix représentations, mais aussi neuf «introductions à la pièce» par Betty Belais, ainsi qu’un débat sur la violence dans la civilisation, jeudi 21 mars à 18h30, intitulé «Le charme discret de la violence ou La violence discrète de la bourgeoisie». Histoire d’intégrer la pièce et le travail artistique dans une vaste réflexion sociétale. Intéressant!

Pablo Chimienti