Les mesures de confinement se sont répercutées sur la sortie de nouveaux projets musicaux. Pascal Schumacher, Sven Sauber et le groupe Ptolemea partagent leurs sentiments à l’égard de la situation.
Alors que le pays s’apprête à passer la barre du premier mois de confinement, toujours au ralenti, mais en redoublant d’inventivité pour poursuivre une vie sociale et culturelle la moins anormale possible, le temps commence à être long pour tous. Les jours se suivent et, finalement, se ressemblent. Les mêmes mesures appliquées à tous débouchent sur les mêmes alternatives utilisées par tous… Mais la vie d’artiste, faite de tournées et de rencontres, choses pour l’instant encore prohibées, ne semble pas en être affectée pour autant. Au contraire, «ça fait du bien de respirer, d’avoir du temps de faire certaines activités que l’on a mises de côté et dont on se rend compte qu’elles sont essentielles à notre bien-être», garantit la chanteuse Priscila Da Costa, du groupe de rock alternatif Ptolemea.
Le jazzman Pascal Schumacher, qui s’est dit au début «super triste, même fâché», a finalement choisi de voir les choses «plus positivement» : outre les manœuvres autour de la sortie repoussée de Sol, son prochain opus en solo, il reconnaît que «ça fait du bien d’être à la maison, tranquille». Et ajoute, en souriant : «Avec ma femme, on se rend compte qu’une fois à la retraite, la vie ne sera pas si mal que ça.» Le guitariste Sven Sauber, lui, considère que la période est «l’occasion pour chacun de se remettre en question», même s’il croit aussi «que dans quelques mois, quand tout va redevenir normal, peu de choses auront changé».
« Ça nous a fait un sacré coup »
Les trois compositeurs et musiciens sont, en quelque sorte, des victimes collatérales de ce confinement, puisque les mesures prises par le gouvernement, bien qu’essentielles, ont entravé la sortie de leurs derniers projets. C’est le cas de l’EP Maze, dernier projet de Ptolemea, qui devait sortir le 13 mars à l’occasion d’une soirée à la Rockhal. «Ça nous a fait un sacré coup, reconnaît l’auteure-compositrice-interprète de la formation, Priscila Da Costa, en faisant référence à l’annulation de l’évènement. On était très déçus, d’autant plus qu’il n’y avait pas encore eu le discours de Xavier Bettel pour annoncer le confinement. Puis on a vu, comme tout le monde, l’ampleur de la chose, et on s’est dit que la date n’allait être que reportée.» Ptolemea, qui compte en tout cinq membres, a décidé de ne pas sortir son projet sur les plateformes de streaming comme Spotify ou Bandcamp, mais de garder ça bien au chaud pour plus tard, quand les corps du public luxembourgeois pourront à nouveau s’agglutiner les uns aux autres au son du grunge rêveur et émotif du groupe.
Les aléas de la situation n’en ont pas voulu de même pour Sven Sauber, qui s’est lui aussi retrouvé au pied du mur en raison des mesures du gouvernement. «Pour des artistes qui sont, comme moi, à moitié ou totalement indépendants, c’est compliqué», regrette-t-il. Il avait imaginé autrement la sortie de son premier album, Another Day, très jolie escapade de 40 minutes aux douces ambiances folk et aux instrumentations discrètes mais riches, avec, déjà, une soirée de lancement prévue qui aurait précédé la sortie du disque le 14 mars à Opderschmelz. Et si la salle dudelangeoise, que Sven Sauber ne manque pas de remercier en précisant qu’elle «continue à (le) soutenir», a d’ores et déjà reprogrammé cet événement au 27 septembre, la date de sortie d’Another Day n’en a pas été affectée, l’album étant disponible à l’écoute en streaming dès maintenant.
On ne peut que déplorer que la sortie d’un projet aussi charmant que celui de Sven Sauber se retrouve sabotée par la situation, mais l’intéressé refuse de se laisser abattre : «On doit continuer à travailler, c’est important. Ça permet déjà de se dire que tout le travail effectué jusque-là n’est pas perdu.»
« On s’amuse beaucoup »
Le guitariste, qui a donné un concert pour le «Crazy Quarantine» organisé par l’équipe menée par Pol Belardi et Pit Dahm, s’accorde «du temps pour composer, donner des cours dans des ateliers de musique» qui se font désormais par écrans interposés. «J’habite avec Pol Belardi, donc on s’amuse beaucoup, on fait de la musique ensemble…» Un sentiment partagé par la chanteuse de Ptolemea, qui, elle, «n’est pas dans une phase d’écriture pour l’instant, même si notre batteur nous a envoyé des idées pour de nouveaux morceaux».
Au lieu de déjà s’atteler à leur prochain projet, Priscila Da Costa prépare le terrain avec ses acolytes pour la sortie de Maze : «Il faut trouver d’autres méthodes pour rester en contact avec les gens qui nous écoutent», affirme-t-elle. Ainsi, elle profite du confinement pour gérer les pages du groupe sur les réseaux sociaux, et s’apprête à finaliser un profil sur le site de financement participatif Patreon «pour que tous ceux qui le souhaitent et les personnes qui nous écoutent puissent nous soutenir».
Lui habite le paysage musical luxembourgeois et européen depuis vingt ans, mais la sortie de son prochain album, Sol, s’est retrouvée elle aussi compromise par les mesures de confinement : Pascal Schumacher, représentant notable du jazz au Grand-Duché, a décidé, «en discussion avec (s)a maison de disques», de «repousser la sortie de l’album», prévue initialement le 17 avril, «au 5 juin». «On a étiré la phase promotionnelle, ce qui s’est traduit par la sortie de deux singles additionnels», dont une très envoûtante reprise du Tearjerker de Ryuichi Sakamoto, interprété par Jarvis Cocker et Chilly Gonzales dans leur album commun Room29 en 2017. Il estime qu’«en ajoutant deux mois de promo, et au vu de la situation, je me dis que, peut-être, les gens auront plus le temps de s’intéresser à la sortie de l’album qu’en temps normal».
Une radio berlinoise a retransmis l’un de ses concerts
Si Sol ne débarquera en streaming (et, espérons-le, chez nos disquaires) qu’en juin, «la tournée de 18 dates qui était prévue», elle, «est tombée à l’eau». «Je n’ai pu assurer que les deux premières dates, des concerts promotionnels pour la presse, à Berlin et à Paris», précise Pascal Schumacher. Le jazzman ajoute que, comme pour beaucoup d’autres artistes, de nouvelles dates sont prévues à partir de septembre, une période que Ptolemea envisage également pour retourner sur scène, tandis que Sven Sauber s’attend plutôt à un report «à l’année prochaine».
Si composer et collaborer à distance est, pour beaucoup, une entreprise qui bénéficie des privilèges d’être à la maison comme elle pâtit des conséquences liées à la distance, Pascal Schumacher, lui, envisage les choses autrement. «L’avantage sur un projet solo, assure-t-il, c’est que je peux avancer chez moi, dans mon studio. Je suis en lien avec mon ingé son, qui m’accompagne dès que j’ai un petit souci technique et qui est un peu comme mon producteur, dans le sens où il donne son avis sur mes décisions.»
Et s’il n’est pas «dans le cas de figure des musiciens qui font des répétitions sur Skype ou sur Zoom», il ne dit pas non aux initiatives des concerts confinés qui fleurissent désormais un peu partout sur internet. Le musicien a en effet été l’invité virtuel «du Live aus der Stuff», le désormais incontournable rendez-vous initié par Serge Tonnar et le collectif MASKéNADA, «et de NDR, une radio de Hambourg». Mercredi soir, une radio berlinoise a elle aussi retransmis l’un de ses concerts. «Ces trucs, ça donne une petite vie de « live », mais ça n’est pas la même chose.» Mais peut-être faut-il goûter encore un peu à ces contretemps pour mieux apprécier le retour sur scène…
Valentin Maniglia