Le Citron-Céphale est le premier roman du journaliste Luc Caregari. Un «conte cruel», précise la couverture, piquant à souhait et très critique envers le Grand-Duché et la société luxembourgeoise.
Journaliste culturel au Woxx,musicien –bassiste du groupeDelmar –, secrétaire du collectif de théâtre interdisciplinaire Independent Little Lies, président du Syndicat des journalistes, Luc Caregari a sorti il ya quelques semaines aux éditionsPhi son premier roman: Le Citron-Céphale. Un livre aussi court quepiquant, sur ce que pourrait êtrele 11-Septembre grand-ducal.
Désormais, je serais donc le gars qui a fait « ça »», nous dit d’entrée, ou presque, le personnage du premier roman de Luc Caregari, Le Citron-Céphale . Un personnage qui restera anonyme tout au long des 112 pages de ce texte court et nerveux, proposé en courts chapitres et qui n’hésite pas à faire différents sauts dans le temps entre un aujourd’hui où le personnage est incarcéré et un passé, pas si lointain, que le prisonnier essaye de mettre noir sur blanc pour, sinon expliquer, du moins analyser ce qui lui aura fait gagner sa place dans «le monstruaire qu’est notre imaginaire collectif» en tant que responsable du «9/11 grand-ducal».
Qu’on se rassure, ici point d’avion qui se crashe sur les tours du Kirchberg, mais «un petit David des temps modernes», «un petit con (qui a) à lui seul su mettre hors service l’armée de son pays», accusé de «coups et blessures graves sur soixante-quinze personnes en même temps et sans les toucher». Tout cela nous sera révélé dans les toutes premières pages du roman. Mais pour savoir ce qu’il a vraiment fait et comment, il va falloir tourner une bonne centaine de pages.
Un conte méchant, mais pas bête pour un sou
Cent pages pendant lesquelles le personnage raconte sa vie de petit fonctionnaire au ministère de la Culture qui «redoutait plutôt l’ennui (…) que la perspective de vraiment devoir travailler», qui raconte ses relations : platonique avec Irène et uniquement sexuelle avec Zora, sans oublier son grand regret amoureux : M. Sa vie de résident du quartier de la Gare dans la capitale qui raconte son quotidien, critique sa «ville forteresse endormie et glaciale», à la «gentrification galopante» à l’exception de son quartier, «seul endroit qui ressemble à tout ce que les Luxos redoutent (…) : drogue, prostitution et, comble de l’horreur, des pauvres».
Bref, un roman piquant qui n’épargne personne. Un roman à l’oralité assumée et qui n’hésite pas à utiliser un certain «parler vrai» quitte à passer rapidement d’une certaine poésie à la grivoiserie, voire carrément à une certaine vulgarité. « Proche de ce que peut faire Virginie Despentes », admet l’auteur qui, tout en n’aimant pas Houellebecq, reconnaît quelques similitudes dans le style et le traitement d’une certaine « misanthropie et (d’un) malheur aussi bien sexuel qu’affectif ».
Une fiction intégrant pas mal d’éléments réels et qui va crescendo. Elle accroche le lecteur, qui veut en savoir plus sur ce que le personnage a fait. Un récit qui fascine par ses descriptions des nombreux moments passés sous psychotropes, par ses scènes de sexe débridé, par son esprit critique assumé ou encore par certaines rencontres improbables.
Mais un récit, aussi, avouons-le, dont la fin, tout en répondant à toutes les questions laissées en suspens pendant les chapitres précédents, déçoit par un style plus posé, moins mordant. Une fin « un peu « bite molle » », reconnaît désormais l’auteur, mais « tout à fait réaliste », ajoute-t-il.
Un livre à lire, néanmoins, avec en tête son côté «conte cruel», un aspect clairement «méchant», mais certainement pas bête pour un sou. Au contraire, témoin d’une grande finesse d’esprit, d’une grande ouverture et d’une grande culture.
Pablo Chimienti
Le Citron-Céphale , de Luc Caregari. Éditions Phi. Une lecture d’extraits du livre se déroulera le 7 février à 20h, à la Kulturfabrik à Esch-sur-Alzette.
Trois questions à Luc Caregari
Vous êtes journaliste, musicien, membre d’Independent Little Lies, président du Syndicat des journalistes – Luxembourg, voilà votre premier roman. La littérature est une nouvelle corde à votre arc? Une envie? Un besoin?
Luc Caregari : En fait j’ai écrit ce bouquin il y a huit ans. C’était une histoire que j’avais en tête depuis un moment déjà. Sur un coup de tête – ou un coup du destin –, je me suis dit que c’était le bon moment pour l’écrire. Je me suis donc isolé pendant une semaine chez les moines à Clervaux, avec juste mon ordinateur et des clopes. J’ai écrit une première version en une semaine. J’ai essayé de la proposer à des éditeurs, mais ça n’a pas marché. J’ai donc laissé ça de côté, ayant d’autres priorités.
Un jour, je me suis dit que j’allais faire un envoi de la dernière chance. Phi a mis un an pour me recontacter, mais ils ont accepté de le publier. Et il a encore fallu plus d’un an pour que le livre sorte. Mais bon, le voilà. Et pour revenir à la question, c’est un roman qui est un peu venu tout seul et que j’avais envie de publier, juste pour voir ce que ça allait donner et quelles allaient être les réactions.
Est-ce que le personnage est, quelque part, une sorte de Mr Hyde de l’auteur que vous êtes? Comme vous, il a étudié à Paris et travaille dans le milieu de l’information culturelle…
Non. Ce n’est pas une autobiographie fantasmée. Ne serait-ce que parce que le mec a un boulot qu’il déteste, alors que moi j’aime le mien. Disons que j’ai pris quelques éléments qui m’étaient familiers pour essayer d’étoffer le personnage. Celui-ci est une hypothèse en fait. La question que je me suis posée en le créant était : « est-ce que ce mec est fou ou est-ce qu’il y a un terroriste caché en chacun d’entre nous? »
Vous, enfin votre personnage, s’en prend, à peu près, à tout ce qu’est le Luxembourg : le Grand-Duc et surtout la Grande-Duchesse; le gouvernement et les ministres qui, à force d’avoir plusieurs portefeuilles finissent par ne plus connaître rien à rien; les journalistes qui se contentent de faire des copier-coller de communiqués de presse; les fonctionnaires souvent pistonnés et qui n’ont pas grand-chose à faire pendant leurs heures de travail; l’armée, les Eurocrates, les « pseudo-artistes », le Freeport, les bières du Nord, etc. Ça va vous faire beaucoup d’ennemis tout ça.
(…) Disons que tout le monde en prend un peu pour son grade. Je ne suis peut-être pas le meilleur patriote, c’est certain, mais ça ne veut pas dire que je n’aime pas le Luxembourg. Il y a des aspects que j’aime et des aspects que je vois tous les jours et que je n’aime pas. Je crois que si on veut être en bonne intelligence avec son pays, sa patrie, il faut aussi savoir garder un esprit critique et lui dire ce qui ne va pas. Après, ceux qui pourraient être touchés personnellement par ce livre… il y a peu de chances pour qu’ils lisent un livre en français! ( il rit ).
Recueilli par P. C.