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Le Che, « légende christique », voulait « mourir en martyr »


(Photo : AFP)

Au-delà de l’image du guérillero défendant un idéal, Che Guevara, exécuté il y a 50 ans, était un homme « hanté par la mort » et l’idée du martyre, estime la chercheuse au CNRS d’origine argentine Marcela Iacub, qui a étudié la psychologie d’un des plus célèbres révolutionnaires de l’histoire.

Pourquoi le Che est-il entré dans la légende ?

Marcela Iacub: Il y a deux légendes concernant le Che: la légende castriste et la légende christique sur laquelle s’appuie notamment le film hollywoodien « Che » de Steven Soderbergh.

Pour beaucoup, le Che est devenu une figure christique avec la photo de son cadavre. Peut-être que le mythe n’aurait pas existé sans cette photo prise des heures après son exécution par l’armée bolivienne et pour laquelle son cadavre a été apprêté (cheveux coupés, injection de formol dans le visage).

Des photographes sont ensuite arrivés sur les lieux où le corps était exposé. Grâce à la lumière des flashs, les yeux du Che étaient pleins de lumière. Le monde entier a vu cette photo parfaite, où le Che a prouvé qu’il était un martyr au sens chrétien du terme puisqu’il semble s’être livré à ses bourreaux dans un état de contentement.

En revanche, les photos prises juste après son exécution ont été cachées pendant vingt ans. Elles sont horribles et n’auraient jamais donné lieu à un tel culte.

Che Guevara est aussi le symbole du révolutionnaire défendant un idéal ?

Quand il était adolescent, il n’était ni communiste, ni engagé politiquement, mais il avait décidé de mourir très jeune, comme un martyr, ce qu’on peut lire dans certains de ses poèmes. Il se condamnait déjà à mourir comme un héros. Dans son « Voyage à motocyclette » (sur son périple en Amérique latine à vingt ans, ndlr), il imagine déjà son futur destin.

Pour dresser une analyse psychologique du personnage, je me suis fondée sur ses écrits. J’ai avant tout eu envie de lui donner la parole, d’autant plus qu’il avait une belle plume. Je pense qu’il a inventé son personnage depuis son plus jeune âge en lisant des romans d’aventure.

Il avait un idéal de lui-même très élevé probablement parce que sa famille était aristocratique mais tombée dans la misère. Il voulait sauver l’humanité en devenant un grand scientifique quand il était jeune. Il a fait des études de médecine. Ne réussissant pas dans cette voie, il a ensuite voulu mener une guerre totale et définitive contre le capitalisme… Il souhaitait que l’humanité meure en combattant, même si le combat se soldait par une défaite.

Que reste-t-il du Che aujourd’hui ?

Nous sommes devenus une société plus pacifiste que dans les années 60-70: nous n’acceptons plus la lutte armée comme moyen pour imposer nos idées politiques à la différence des décennies précédentes. Ce qui est resté, c’est le mythe du martyr, l’idée que s’il a tué, exterminé ses opposants, c’était pour éviter des choses plus graves. Sinon pourquoi tant de communistes sont-ils tombés dans l’oubli et pas lui ?

Dans son rapport à la mort, il y a peut-être aussi quelque chose en commun avec l’attitude des jihadistes: le désir de gloire, l’idée de se considérer déjà mort… Les deux phénomènes ne sont pas identiques mais il y a des ressemblances: cette idée qu’ils sont assassins car ils sont d’abord suicidaires et pensent la mort comme un acte de propagande.

Le Quotidien / AFP

« Le Che à mort » (éditions Robert Laffont)