Liam Neeson revient dans Memory, peut-être l’un de ses derniers rôles musclés. Retour sur 15 années qui ont transformé l’immense acteur en «action hero».
Le tournant qu’a pris la carrière de Liam Neeson à la fin des années 2000 a été fascinant à observer. Sans doute parce qu’il est parti d’un coup de tête : en 2006, Liam Neeson rencontre Luc Besson au festival international du Film de Shanghai. Le réalisateur et producteur présidait le jury, l’acteur accompagnait l’actrice Natasha Richardson, son épouse, pour l’avant-première du drame en costumes The White Countess, de James Ivory, dont elle était la vedette.
Neeson fait part à Besson, déjà bien établi dans le milieu du film d’action abrutissant et à petit budget, de son envie, à 54 ans, de jouer les gros bras en corrigeant un maximum de méchants. Un souhait formulé en envisageant que ce petit écart dans sa carrière prestigieuse serait à peine remarqué, anticipant la piètre qualité d’un film qu’il imaginait sortir directement en vidéo. Mais Taken (Pierre Morel, 2008), dans lequel il incarne un ex-agent de la CIA lancé dans une course contre-la-montre pour sauver sa fille des griffes d’un réseau de mafieux albanais spécialisés dans le trafic sexuel, a été tout l’inverse de ce qu’il attendait.
Le succès planétaire immédiat du film a transformé le natif d’Irlande du Nord – qui se définit comme Irlandais – en «action hero» sur le tard. Les chiffres ne mentent pas : 14 ans plus tard, la filmographie de l’acteur a doublé de volume. Taken était son 47e film; Memory, le dernier venu en salle aujourd’hui, est son 96e.
Un nouveau souffle qui s’est principalement construit autour du cinéma d’action, au point de faire de l’ombre à ses rôles emblématiques de héros historiques (Oskar Schindler, Michael Collins, Rob Roy MacGregor…) ou fictifs (il a notamment été le mentor d’Obi-Wan Kenobi dans la deuxième trilogie Star Wars et celui de Batman dans la saga de Christopher Nolan). Sans compter que depuis vingt ans, la plupart de ses rôles les plus importants se limitent à des apparitions secondaires, dans Gangs of New York (Martin Scorsese, 2002), Love Actually (Richard Curtis, 2003), Kingdom of Heaven (Ridley Scott, 2005), Widows (Steve McQueen, 2018)…
Il faut tout de même avouer que du haut de ses presque deux mètres, Liam Neeson, voix rocailleuse et regard bleu perçant, a toujours affiché une carrure de héros. On oublierait même qu’il s’apprête à fêter ses 70 ans (le 7 juin prochain), tant il semble ne plus vieillir. Pourtant, s’il enchaîne les polars musclés, il serait bien malhonnête de comparer sa seconde carrière à celles d’autres stars vieillissantes du film d’action, telles que Keanu Reeves, Jason Statham, Vin Diesel, voire Tom Cruise, qui, la soixantaine ou presque, n’ont pas fini de faire des galipettes devant la caméra comme à vingt ans, grâce à des franchises bien établies.
On n’imagine donc pas Liam Neeson au générique d’un prochain volet des Expendables ; il met d’ailleurs un point d’honneur à choisir des rôles qui lui permettent de puiser véritablement dans ses capacités d’acteur, plutôt que d’enchaîner bêtement les séquences de baston. Une séquence, cependant, reste inconditionnelle : celle où Liam Neeson menace les «bad guys» au téléphone, moment phare de Taken qu’il reprend, depuis, à toutes les sauces. Sa signature d’«action hero», en quelque sorte.
Pas toujours un gage de qualité
L’implication de Liam Neeson dans ses rôles est due pour beaucoup à ses recherches psychologiques et émotionnelles, sans prendre le genre de haut. Dans la vraie vie, il reste fidèle à ses engagements politiques et sociaux, aux côtés d’Amnesty International ou en faveur de la protection de l’environnement. Le fait qu’il soit resté célibataire depuis la mort accidentelle de Natasha Richardson en 2009 donne même une clé de lecture toute particulière à ses héros prêts à tout pour protéger ceux qu’ils aiment.
Mais son talent n’est pas toujours un gage de qualité suffisant au sein des films dont il est la star. Dans le haut du panier, citons le quasi hitchcockien Unknown (2011) – première de ses quatre collaborations avec le réalisateur espagnol Jaume Collet-Serra –, A Walk Among the Tombstones (Scott Frank, 2014), beau film noir qui joue sur les clichés du genre, ou encore Honest Thief (Mark Williams, 2020), dans lequel il joue un braqueur de banque pris au piège après avoir voulu se rendre au FBI, qui échappe aux méchants non pas en courant, mais en marchant et en se refusant à toute violence.
Sans oublier The Grey (Joe Carnahan, 2012), thriller psychologique et philosophique où l’ennemi qu’il doit affronter en nombre n’est pas humain, mais animal : un chef-d’œuvre absolu et l’un des meilleurs rôles de l’acteur.
Un acteur hors pair
Avec Memory, entouré par un casting de choix (Monica Bellucci, Guy Pearce) et un réalisateur de talent (Martin Campbell, aux commandes des James Bond GoldenEye et Casino Royale), il endosse une nouvelle fois le costume d’un tueur à gages qui se retourne contre ses commanditaires… à la différence que celui-ci est frappé par la maladie d’Alzheimer.
Une nouvelle occasion de montrer que, même à l’intérieur d’un genre qui n’invente plus rien, Neeson reste un acteur hors pair. Peut-être même l’une de ses dernières occasions : après en avoir exprimé le souhait plusieurs fois, Liam Neeson pourrait bien abandonner complètement le cinéma d’action. Mais pas avant d’incarner Philip Marlowe, le détective privé des polars de Raymond Chandler, dans un film attendu pour 2023 et signé par l’un de ses réalisateurs fétiches, l’Irlandais Neil Jordan. Un personnage iconique qui offrirait à cet improbable pan de sa carrière une belle fin.
Memory, de Martin Campbell.