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Le begena, musique ancestrale et «médecine de l’âme»


En Éthiopie, le begena est un instrument dont l’histoire traverse les siècles. Et qui s’écrit aussi, au présent, dans le domaine de la santé : sa dimension «spirituelle» aurait des vertus apaisantes sur de nombreux malades, intéressant même les médecins.

Les doigts de Biruktawit Tasew glissent sur les cordes du «begena», qui émettent un son grave et envoûtant. La jeune femme et six autres joueurs de l’instrument traditionnel éthiopien entonnent ensuite une mélopée religieuse, devant une assemblée captivée. Depuis trois ans, chaque vendredi, les musiciens se rendent dans une maison de retraite d’Addis-Abeba pour jouer de cet instrument, considéré comme l’un des plus anciens d’Éthiopie et qui apaiserait les tourments. Le begena, «c’est la médecine de l’âme», déclare Biruktawit Tasew, 23 ans, qui en joue depuis environ un an.

Le premier begena aurait été rapporté d’Israël par Ménélik Ier, le premier empereur d’Éthiopie, qui l’aurait reçu du légendaire roi David. L’instrument d’environ un mètre, qui ressemble à une grande lyre et a une forme de trapèze, est composé de dix cordes, en référence aux dix commandements, fabriquées en boyaux de mouton. Il se joue de la main gauche, soit nue soit à l’aide d’un plectre, et accompagne depuis des siècles la prière et la méditation des moines de l’Église orthodoxe Tewahedo, qui rassemble aujourd’hui environ 40 % des quelque 120 millions d’Éthiopiens.

Plus que n’importe quel instrument, la thérapie begena a un réel effet calmant

Le begena était initialement réservé à une élite. Interdite durant le régime communiste du Derg entre 1974 et 1991, sa pratique s’est depuis démocratisée. Les joueurs de begena portent un «netela», un tissu blanc traditionnel, croisé sur la poitrine pour les hommes, et comme un voile pour les femmes.

Dans la petite cour de la maison de retraite Grace Nursing Home, l’assemblée écoute religieusement. Natnael Hailu, cofondateur de l’institution, a été «choqué» par les effets de l’instrument sur les pensionnaires. «Nous avons vu un changement. Des patients très malades, qui sont alités, quand on joue du begena à leur chevet, ils oublient la douleur et se concentrent sur la musique, ils s’endorment, se détendent», s’enthousiasme le médecin. «Cela calme leur rythme cardiaque, cela abaisse leur tension artérielle, cela les apaise. Plus que n’importe quel instrument, la thérapie begena a un réel effet calmant», poursuit-il.

Assis dans un fauteuil roulant, Solomon Daniel Yohanes secoue légèrement la tête au rythme de la musique. «Le begena touche quelque chose à l’intérieur de vous», raconte l’homme de 60 ans, pensionnaire depuis deux ans, amputé en dessous des genoux. «Lorsque vous recherchez Dieu, vous le recherchez de différentes manières, et je vois le begena comme Dieu parlant de sa propre voix», poursuit-il, affirmant que l’instrument lui a «apporté la paix» intérieure.

Adossé contre un mur, Ermias Haylay observe avec attention la performance des musiciens. Le jeune homme de 23 ans est à l’origine de cette initiative de jouer gratuitement dans des maisons de retraite et des hôpitaux. Au départ, «nous y sommes allés davantage pour divertir les patients, pour leur apporter un peu de joie», confie-t-il. Mais rapidement, «nous avons commencé à voir des changements extraordinaires, ils sont devenus très calmes», poursuit-il, en évoquant des patients souffrant d’Alzheimer, de démence ou d’autisme.

Et des médecins commencent à se pencher sur la question. «Nous pensons que cela pourrait avoir une influence positive pour les personnes souffrant de maladies chroniques», souligne Gene Bukhman, cardiologue et enseignant à l’université américaine de Harvard, qui évoque le caractère «prometteur» du begena après avoir assisté à une représentation d’Ermias.

Ce dernier, qui joue également durant des opérations chirurgicales, a fondé il y a sept ans une école qui forme actuellement plusieurs dizaines d’élèves – en présentiel ou à distance à travers le monde – à la pratique de l’instrument. Ermias Haylay a commencé à jouer à 15 ans après l’école paroissiale. Et «la première fois que je me suis trouvé en contact avec un begena, j’ai trouvé qu’il sentait mauvais, comme certaines parties viennent du mouton», sourit-il. Mais en y jouant, ce fut une «révélation».

Et la demande de cours «est aujourd’hui en plein boom», relate Ermias. «On ne peut pas comparer le begena à d’autres instruments, comme la guitare. Le begena a un aspect spirituel», assure-t-il. Le jeune homme, qui a également fondé avec un associé une petite entreprise qui confectionne et exporte des begenas, espère à terme «ouvrir des écoles à travers le monde et pouvoir aider de nombreux patients».

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