Avec « Essential Cinema », la Cinémathèque de Luxembourg propose 100 films ayant marqué l’histoire du 7e art. Son directeur, Claude Bertemes, évoque ce nouveau rendez-vous.
Le directeur de la Cinémathèque de Luxembourg souhaite renouveler le rendez-vous « Essential Cinema » pour en faire un projet permanent. (Photos : DR/Fabrizio Pizzolante)
> D’où vous est venue cette idée et s’impose-t-elle dans la continuité de ce que la Cinémathèque fait avec son « Université populaire du cinéma » ?
Claude Bertemes : Oui, en quelque sorte. L’idée tient à une conviction : qu’une cinémathèque doit répondre aux questions d’un public cherchant une orientation. D’un côté, en tant que cinéphile, il se retrouve face à un millefeuille de possibles dans lequel il est facile de se perdre. D’un autre, s’il suit ce que propose la télévision ou les nouveaux supports, il verra toujours les mêmes choses, qui reviennent à un rythme régulier. Avec « Essential Cinema », on leur propose un encadrement. Et dans un sens, c’est un complément à notre démarche pédagogique qui est celle de former les regards.
> Construire un canon du 7e art, est-ce une de vos missions ?
Oui, mais il est important d’abord de définir ce qu’est un canon. Un film peut être considéré comme important parce qu’il a révolutionné la technique – comme Le Chanteur de jazz, premier film parlant – parce qu’il a explosé le box-office ou encore qu’il est appuyé par une large communauté de fans, à l’instar d’un Rocky Horror Picture Show… Nous, on a préféré s’intéresser à l’essence créative du cinéma et à ses exploits esthétiques, narratifs, techniques. Faire une liste des 100 meilleurs films, ça n’est pas la même chose que parler des films les plus influents, même si parfois, ça se recoupe…
> Comment avez-vous fait votre sélection ?
Il y a, parmi les amateurs comme les professionnels, beaucoup de « top 100 » déjà existants. Parmi eux, le plus significatif est celui de la revue anglaise Sight and Sound, où l’on retrouve, à peu près, 50 % de nos choix. Ça, c’est pour le côté objectif. Après, il y a un grand facteur subjectif, car en tant que curateur, on se doit d’offrir un panorama diversifié et, bien sûr, d’assumer ces choix.
> Vous êtes-vous fixé des limites ?
Des règles, plutôt, car notre enthousiasme n’a aucune limite (rire). D’abord, on n’a choisi qu’un seul film par réalisateur. Ensuite, il était important d’équilibrer l’ensemble, aussi bien dans les dates que les choix des pays. Si dans notre sélection, les « sixties » ont une place importante – et ça peut se comprendre, vu la richesse de la période – toutes les décennies sont néanmoins représentées. Enfin, il fallait glisser quelques surprises qui provoquent des débats et des chocs, d’où la présence de cinéastes comme Béla Tarr (Les Harmonies Werckmeister) ou Jonas Mekas (Reminiscences of a Journey to Lithuania). Après, je trouve qu’il est intéressant de revoir certains films dits « essentiels », comme Vertigo ou Modern Times. Regarder dix fois Citizen Kane vaut mieux que regarder dix films moyens !
> Proposer 100 films, au rythme d’un tous les vendredis, c’est ambitieux. N’avez-vous pas peur que le public s’essouffle ?
Non, je suis plutôt confiant, au point qu’à la fin de cette première sélection, calculée pour 2017, on va sûrement proposer une autre liste de films. On veut renouveler cela tous les 2-3 ans pour en faire un projet permanent.
> Comment s’est passée la première, il y a une semaine, avec À bout de souffle de Godard ?
On a eu de bons retours et la salle était très bien remplie, ce qui est un beau succès un 2 janvier… Apparemment, personne ne se lasse de voir ce chef-d’œuvre de Godard, qui a balayé les vieilles règles du cinéma, aussi bien dans le montage que dans l’esthétisme.
> Avez-vous, parmi ces 100 films, un coup de cœur personnel ?
Les Petites Marguerites de Vera Chytilova (1966), un film tombé aux oubliettes que j’ai vu quand j’avais 18 ans. Il flotte sur cette œuvre un esprit libertaire, burlesque et anarchiste. Il se fout véritablement de toutes les règles.
Entretien avec notre journaliste Grégory Cimatti
Cinémathèque – Luxembourg.
Ce soir, à 20h30 – « Aguirre, la colère de Dieu », de Werner Herzog (1972).