Lata Gouveia, le plus américain des musiciens du Luxembourg, est de retour avec un troisième album toujours branché guitare et «red dirt». Il raconte ses idoles, les États-Unis, la privation de scène et le public empêché. Entretien.
Au Luxembourg, son style et sa dégaine font partie du paysage. Depuis une décennie, avec ses tee-shirts coupés aux épaules, sa guitare en bandoulière et son americana authentique, Lata Gouveia célèbre, dans un rock proche de Dire Straits, toutes ses idoles, d’Oklahoma et d’ailleurs : Bruce Springsteen, Tom Petty, JJ Cale, Bob Dylan, Billy Idol, Tom Skinner et autres Randy Crouch. Après deux premiers disques – Radio Nights (2014) et Healed & Gone (2018) –, il revient cette année avec une troisième production, Stay The Same, imaginée au printemps 2019 et soutenue par son trio fétiche : Jeff Herr (batterie), Paul Porcelli (guitare) et Daniela Kruger (basse).
Privé de scène avec son groupe depuis janvier 2020, la pandémie continue à ne plus le lâcher puisque son concert «release», prévu samedi à la Rockhal, a été annulé, remplacé en dernière minute par un show en streaming moins glamour. Père de famille depuis maintenant trois ans, le musicien préfère relativiser et compte sur des jours meilleurs. En attendant, il se raconte, de ses racines portugaises aux influences américaines, toujours à vif, sans oublier les concerts assis, l’importance des histoires et l’inexorable fuite du temps. Entretien.
Vous avez quitté les États-Unis il y a maintenant dix ans. En êtes-vous toujours proche ?
Lata Gouveia : Oui, surtout musicalement. D’abord, je me tiens au courant de la musique qui sort là-bas, dont celle d’amis qui sont sur place. Ensuite, mes idoles américaines restent une influence majeure. Elles m’accompagnent toujours ! Dans ce nouvel album, je me rapproche encore plus d’elles. À la base, déjà, je n’ai jamais vu l’intérêt de cacher les influences. Là, on les entend de manière plus évidente, comme Bruce Springsteen, Tom Petty ou JJ Cale. J’ai même utilisé le rythme du premier tube de Sheryl Crow (All I Wanna Do) !
Au risque de faire dans la copie trop évidente ?
Au Luxembourg, c’est ce qu’on pense déjà ! Et je ne suis pas aveugle : le répertoire que je propose sur scène, avec le groupe, fait penser à Dire Straits. Mais j’ai la prétention de croire que c’est plus subtil que ça. De toute façon, comme on dit, rien ne se crée, tout se transforme ! Moi, j’essaye juste de faire la musique qui me plaît, le plus honnêtement possible.
En quoi ce rapprochement avec vos idoles était-il nécessaire ?
Je travaille depuis sept ans maintenant à la tête du « Grund Club » (NDLR : un collectif de chanteurs et de compositeurs du Luxembourg). Ça m’a amené à avoir une grande ouverture d’esprit, à m’intéresser au rap, à l’électronique… J’essaye de ne pas passer pour un vieux aigri ! (il rit). Mais parfois, auprès de plus jeunes générations, j’entends ou je lis que la guitare est morte, qu’elle représente le passé. Cet album, c’est une forme de réaction à cela. D’où aussi ce quartette traditionnel, sans trucage, sans ajout. À l’os. Honnête.
Avec vous, l’importance de la guitare ne se discute pas…
Ça fait plus de trente ans qu’elle ne me quitte plus. Bon, depuis la pandémie, qui prive les artistes de scène, l’électrique prend un peu la poussière dans sa boîte. Mais l’acoustique, elle, compense ! À la maison, tout le monde s’en sert : j’ai mon petit garçon qui s’amuse avec, ma femme qui apprend à en jouer… Il y a quasiment une guitare dans chaque pièce ! Elle n’est jamais loin.
Ce côté américain se retrouve-t-il uniquement dans votre musique ou se vit-il aussi au quotidien ?
Outre mes amis qui vivent en Oklahoma, j’ai avec les États-Unis une sorte d’amour-haine. C’est toute la démesure et l’ambivalence de l’Amérique avec ses espoirs et ses déceptions. Sinon, plus concrètement, mon côté américain se résume à ma collection de disques et à deux-trois paires de bottes dans le placard ! À part ça, mon fils est luxembourgeois, ma femme hongroise et j’ai une voiture allemande ! (il rit).
Stay The Same, comme son nom l’indique, reste ancré dans l’americana, et déroule toute la panoplie de circonstance : folk, rock, country, blues… Qu’est-ce qui vous plaît autant dans ces styles ?
C’est une musique qui me touche pour ses textes. L’ancienne americana raconte des choses réelles, les souffrances et la beauté de la vie… Personnellement, j’aime qu’on me raconte une histoire, qu’il y ait plusieurs couches de lecture dans une écriture, des paroles. C’est pour cela que la pop ne m’intéresse pas, surtout celle qui reste bloquée à des réflexions du genre « I love you, you love me« … Idem pour cette mentalité artistique qui s’occupe exclusivement de la sonorité au détriment des textes. Attention, ça peut-être de la bonne musique mais à mes yeux, il manque un truc.
Vous voyez ce disque comme plus gai et plus optimiste que les deux précédents. Que racontez-vous donc dessus ?
Disons qu’il y a des choses plus légères, comme l’histoire d’un canapé ou encore une autre qui parle de mon fils dans sa relation exclusive avec sa mère. Ce sont des trucs pas trop sérieux, qui s’éloignent des classiques critiques sociales. Il faut dire que j’ai écrit ces morceaux au moment où je suis devenu papa. J’étais heureux, sur un nuage. Ce n’était vraiment pas le bon timing pour parler politique !
Finalement, c’était le moment idéal pour faire de la pop…
(Il rigole) C’est vrai. J’aurais dû me mettre aux samplers !
En 2021, je ne suis pas monté une seule fois sur scène. Ça ne m’était pas arrivé depuis 30 ans…
À 46 ans, le côté rebelle solitaire, propre à l’imagerie de ce genre de rock, tient-il encore la route ?
Disons que l’on évolue tous, et que certains traits de caractère s’affirment différemment dans le temps. C’est vrai, aujourd’hui, je n’ai plus cette soif de célébrité. J’ai fait une croix sur les Grammys ! D’une certaine manière, j’ai mis mon rêve américain de côté. Par contre, mon côté rebelle, révolté, est toujours là, bien plus à vif qu’à mes jeunes années. Je me sens moins adapté à la société qu’à l’époque où je vivais aux États-Unis. Ça se confirme quand je vais chez mes parents : dix minutes de télévision suffissent à me rendre malade ! Oui, j’ai un côté antisocial affirmé.
Vous êtes apprécié au Luxembourg, aux Pays-Bas, en France, en Belgique et en Allemagne. Mais comment votre musique est-elle reçue dans votre pays d’origine, le Portugal ?
Ça, je ne le sais pas encore. Mais pour Stay The Same, c’est la première fois que j’engage quelqu’un pour promouvoir un album sur le territoire portugais. C’est nouveau pour moi, même si au Luxembourg, Radio Latina m’a toujours soutenu.
Pourquoi ce choix ?
Je pense que c’est une question d’âge, un mélange de curiosité et de liens aux racines. Et il y a quinze ans, ma première expérience musicale au Portugal n’a pas été à la hauteur de mes attentes. J’en ai gardé longtemps un goût amer en bouche. Il est temps aujourd’hui de passer à autre chose. Après, je ne suis pas en quête de notoriété. J’avais un copain, Rocky Frisco, le vieux pianiste de JJ Cale, qui me disait : « On n’est jamais un héros chez soi. Il faut d’abord connaître le succès à l’étranger avant d’être reconnu dans son pays ». C’est quelque chose qui se vérifie facilement.
J’ai toujours un mal fou à me faire à l’idée que je vais jouer pour un public séparé, ségrégué
Comment vivez-vous ces deux dernières années en tant que musicien, avec cette pandémie qui bloque tout ?
Honnêtement, je le vis très mal. Bien sûr, c’est la faute de personne et j’essaye de croire que tout le monde fait de son mieux. Mais les faits sont là ! En 2021, je ne suis pas monté une seule fois sur scène. Ça ne m’était pas arrivé depuis 30 ans… C’est vrai, j’ai eu l’opportunité de pouvoir sortir l’album en septembre, mais je ne me voyais pas jouer devant un public assis, avec deux mètres de distance entre les gens. On est un groupe de rock quand même ! Ça n’avait aucun sens. Je me suis dit qu’en patientant un peu, ça irait mieux. Je me suis trompé…
C’est vrai, votre concert de samedi soir est annulé. Comment recevez-vous ce nouveau coup du sort ?
Ça m’attriste et en même temps, ça me soulage : j’ai toujours un mal fou à me faire à l’idée que je vais jouer pour un public séparé, ségrégué. Franchement, quelle gueule devrais-je afficher sur scène si des amis et des fans ne peuvent pas rentrer dans la salle? J’ai du mal à accepter cela. Après, chacun fait ses choix, et les artistes ont un besoin irrépressible de jouer. Mais la musique a un caractère démocratique et universel. Il ne faut pas l’oublier.
Du coup, vous proposez un show en streaming. Le numérique, est-ce une solution viable ?
C’est celle que l’on a trouvée ! C’est une solution alternative, avec un streaming en live qui va mélanger des morceaux en version acoustique et des moments de discussion avec le public en ligne. Après, j’espère retrouver la scène, peut-être en extérieur, au printemps. La Rockhal a peut-être encore une petite place pour mon groupe.
Livestream samedi
à partir de 21h30
sur Lata Gouveia TV.