Symbole des violences sexuelles et du machisme le plus crasse pour les uns, fierté nationale pour les autres, Gérard Depardieu, qui a fêté ses 75 ans hier, a perdu son aura d’icône intouchable.
Malgré une mise en examen pour viols en 2020, à la suite d’une plainte d’une comédienne d’une vingtaine d’années, Charlotte Arnould, l’acteur multipliait jusqu’à récemment les tournages avec l’éclectisme qui le caractérise (Illusions perdues, Maison de retraite, Les Volets verts, Maigret).
Et gardait son statut de monstre sacré du cinéma français, comme il n’en existe plus beaucoup. Alain Delon, qui divise par ses prises de position réactionnaires, a en effet quitté les plateaux, tout comme Brigitte Bardot, qui s’illustre par ses déclarations contre l’islam.
Seule Catherine Deneuve, 80 ans, qui a cosigné en 2018 une tribune très commentée sur la «liberté d’importuner» les femmes, continue de tourner et d’être célébrée.
La star ne s’est pas exprimée récemment sur Gérard Depardieu, avec qui elle a partagé l’affiche une dizaine de fois. Au-delà des cercles féministes, l’acteur bénéficiait d’une certaine indulgence. Son tempérament fort en gueule, volontiers outrancier, lui a longtemps attiré la sympathie du public et de la profession.
Déclarations obscènes
Ses déclarations sur des viols auxquels il aurait pris part dans sa jeunesse lui ont coûté sa carrière américaine au début des années 1990, mais n’ont eu que peu d’écho en France. Et lorsqu’une actrice aussi populaire que Sophie Marceau le qualifiait en 2015 de «prédateur» pour son comportement sur les tournages, ses propos sonnaient dans le vide.
Le 7e art préférait alors louer l’acteur aux plus de 200 films au cinéma et à la télévision, au jeu instinctif et à la boulimie de travail, qui aura interprété les grands héros de la littérature nationale, de Cyrano au Jean Valjean des Misérables, en passant par Obélix.
Mais fin 2023, le clown Gérard Depardieu, qui avait pu uriner dans une cabine d’avion en 2011, ne fait plus rire. Il a mis sa carrière en pause et est désormais l’artiste le plus clivant du pays. Tout s’est accéléré en moins d’un mois, après la diffusion dans le magazine Complément d’enquête d’images où il multiplie les déclarations obscènes envers des femmes, ainsi qu’une fillette. La séquence écœure. L’acteur est radié de l’Ordre national du Québec, perd son titre de citoyen d’honneur d’une commune belge, voit sa statue de cire retirée du musée Grévin…
Humour «parfois limite»
Quelques personnalités du cinéma lui tournent alors publiquement le dos, comme l’actrice Anouk Grinberg. Un camp pro-Depardieu se mobilise : sa famille, dont sa fille, l’actrice Julie Depardieu, dénonce une «cabale», son ex-compagne Carole Bouquet défend «l’humour parfois limite» d’un homme qui serait «incapable de faire du mal à une femme».
Une soixantaine de personnalités de la culture ont dénoncé un «lynchage» dans une tribune au Figaro, dont le réalisateur Bertrand Blier, les actrices Nathalie Baye et Charlotte Rampling, les acteurs Jacques Weber, Pierre Richard et Gérard Darmon, les personnalités de la musique Roberto Alagna, Carla Bruni, Arielle Dombasle et Jacques Dutronc.
«Je trouve que c’est très courageux de la part des signataires», a réagi le comédien, contacté par RTL, ajoutant ne pas en être à l’origine et avoir simplement autorisé son auteur à la publier.
L’affaire a pris une autre dimension lorsque Emmanuel Macron, au milieu de l’une des plus profondes crises politiques de sa présidence (l’adoption de la loi sur l’immigration avec le soutien de l’extrême droite), a pris fait et cause pour l’acteur.
«Chasse à l’homme»
Le président a ainsi dénoncé une «chasse à l’homme» et désavoué sa ministre de la Culture qui remettait en question sa Légion d’honneur. «Il a fait connaître la France, nos grands auteurs, nos grands personnages dans le monde entier (…) il rend fière la France», a déclaré Emmanuel Macron.
Le natif de Châteauroux (centre du pays) a une histoire contrariée avec sa patrie, depuis qu’il a annoncé fin 2012 rendre son passeport pour protester contre l’imposition des plus riches et opté pour un exil fiscal en Belgique. Admirateur des dirigeants les plus autoritaires, il a aussi acquis la citoyenneté russe.
Sur le plan judiciaire, outre sa mise en examen pour viols, Gérard Depardieu, qui récuse les accusations, est visé par une plainte pour agression sexuelle déposée par la comédienne Hélène Darras pour des faits a priori prescrits, ainsi qu’une autre en Espagne par une journaliste, Ruth Baza, l’accusant d’un viol en 1995.
Ses soutiens font de sa défense un symbole de la lutte pour la présomption d’innocence. «J’ai simplement envie» que Gérard Depardieu «puisse défendre ses droits comme tout un chacun» et «continuer à travailler, à créer», a souligné Emmanuel Macron.
Face aux soutiens, les associations et féministes «scandalisées»
Mardi, une soixantaine de célébrités ont dénoncé un «lynchage» de Gérard Depardieu. Il «est probablement le plus grand des acteurs. Le dernier monstre sacré du cinéma», écrivent-ils. Les signataires ne peuvent «plus rester muets face au torrent de haine qui se déverse sur sa personne (…) au mépris d’une présomption d’innocence dont il aurait bénéficié, comme tout un chacun, s’il n’était pas le géant du cinéma qu’il est». «Lorsqu’on s’en prend ainsi à Gérard Depardieu, c’est l’art que l’on attaque!»
L’auteur de la tribune, Yannis Ezziadi, comédien proche de la fille de l’acteur, Julie Depardieu (également éditorialiste au magazine conservateur Causeur), a exprimé son inquiétude face à l’ampleur des réactions aux «blagues» entendues dans le reportage Complément d’enquête diffusé récemment et qui a provoqué une onde de choc. Yannis Ezziadi veut ainsi dénoncer une «idéologie de terreur, de chasse aux sorcières».
De quoi raviver la colère des associations féministes. «C’est une tribune très pédagogique. Ce que l’on voit, c’est comment un entourage va s’organiser et utiliser des arguments tels que « c’est un monstre sacré, un génie » pour protéger quelqu’un», éclaire la présidente de la Fondation des femmes, Anne-Cécile Mailfert.
Emmanuelle Dancourt, cofondatrice de #MeTooMedias, s’est dite «atterrée». «J’ai l’impression qu’il y a une incompréhension quand j’entends parler de torrent de haine qui se déverse sur Depardieu… Il n’y a jamais de vengeance (NDLR : de la part des plaignantes), mais un besoin de protéger les autres», a-t-elle souligné sur BFMTV.
«C’est un crachat au visage des victimes de violences», a réagi le collectif «Nous Toutes». «On ne comprend pas que le monde de la culture se mobilise. On pourrait utiliser cette voix pour soutenir les victimes», selon Tatiana, militante du collectif. De son côté, l’association Les Papillons, qui recueille quant à elle la parole d’enfants victimes de violences, a mis fin au rôle d’ambassadeur de Pierre Richard.
«Pourquoi serait-il protégé juste parce que c’est une personnalité importante? Et derrière ça, on a des jeunes femmes qui ont subi des agressions, des viols qui vont les marquer à vie. Pourquoi elles n’auraient pas le droit justement d’avoir une justice?», questionne pour sa part Anaelle Dupont, étudiante.
Cette tribune est la dernière mobilisation en date du clan Depardieu, après celle des membres de sa famille dans le JDD et des prises de parole de sa fille Julie ou encore de son ex-compagne Carole Bouquet à la télévision.