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[L’album de la semaine] Thee Marloes : amour sans frontières


(photo DR)

Le Quotidien a choisi d’écouter cette semaine le dernier album de Thee Marloes, Perak, sorti le 9 août sur le label Big Crown Records.

Les groupes avec le pronom «thee», au charme soul, auraient-ils le vent en poupe ? Il y a de quoi se le demander à la vue des récentes percées. À l’été 2022, il y a d’abord eu Thee Sacred Souls, trio de San Diego au premier album magistral (le second, Got a Story to Tell, est attendu pour octobre).

Ensuite, pour prendre le relais, débarque Thee Sinseers, un imposant collectif de huit hommes et une femme, tous fagotés à l’ancienne et aux élans vintage concoctés depuis la ville de Los Angeles (à l’instar de Sinseerly Yours, excellent disque sorti en mars de cette année).

Enfin, pour compléter le podium, voilà qu’arrive une autre formation, Thee Marloes, qui, contrairement aux deux autres, met en avant un chant et des chœurs au féminin. Mais ce n’est pas là sa seule singularité, bien au contraire.

En effet, à l’écoute de Perak, petit bijou de chansons délicates, à la cool et sans fausse note, il arrive que l’oreille bloque sur certaines paroles. Mais quelle est donc cette langue qui se fond parfaitement dans le décor et s’amuse à se mélanger avec l’anglais ? Pour le savoir, il faut remonter l’histoire du groupe et s’envoler pour rejoindre, à quelque 11 000 kilomètres, l’île indonésienne de Java.

 

C’est dans la ville portuaire de Surabaya que l’on trouve deux hommes : le batteur Tommy Satwick et le guitariste Sinatrya «Raka» Dharaka. Un duo qui, au gré de longues sessions improvisées et de concerts donnés à domicile comme dans toute l’Asie du Sud-Est, va trouver un style, non pas novateur, mais peu commun avec ce qui se fait d’habitude chez lui : une soul à l’ancienne.

La soul bien faite n’est plus l’apanage des États-Unis ou de l’Angleterre

Mais pour lui donner la résonance voulue, il fallait quelqu’un pour l’incarner : ce sera Natassya Sianturi, influencée par les Jackson Five comme Erykah Badu, et dont la voix ne laisse pas insensible. C’est même elle qui porte l’album du début jusqu’à la fin, accompagnant les douze morceaux de grands «oooh» et de grands «aaah», comme si le chagrin d’amour ne trouvait aucun mot approprié pour évoquer toute la douleur ressentie.

Car c’est bien de ça dont il est question durant près de 40 minutes : des histoires de cœurs en morceaux, d’âmes déchirées, de peines presque inconsolables et d’amour manqué. Mais rien de plombant chez Thee Marloes, qui enrobe ces tourments d’une musique légère et un brin exotique, qui puise son authenticité du côté du jazz comme de la pop (comment ne pas voir l’influence de Sade dans Logika).

C’est là toute la force de Perak, à savoir alterner avec efficacité les humeurs et ambiances, sauter de la soul classique à des choses plus sucrées, avec toutefois le respect de certaines traditions : une batterie et une basse qui avancent main dans la main, tandis que les orgues, les guitares, les cuivres et la flûte flottent au-dessus de la mêlée. Au bout, il y a de quoi être étonné par la qualité des compositions et des interprétations, exquises, luxuriantes et cinématographiques.

On l’est un peu moins quand on apprend que le label qui défend le groupe, Big Crown Records, n’est autre que celui de Leon Michels (alias El Michels), producteur et musicien de talent que l’on retrouve derrière d’autres projets de la même veine et du même calibre (Lee Fields & The Expressions, Bobby Oroza, Brainstory…).

Sans son appui et son réseau, Perak aurait peut-être été découvert dans un demi-siècle par un «digger» (un fouilleur de bacs à disques et dénicheur de trésors musicaux) dans une foire de Surabaya. Il n’en est rien, et c’est tant mieux! Son existence tend même à prouver une chose, essentielle : que la soul bien faite n’est plus l’apanage des États-Unis ou de l’Angleterre, au même titre que les amours qui se finissent (souvent) mal. Tout cela est bien plus grand, universel, et à ce titre, Thee Marloes a son rôle à jouer. Dans la remuante chanson Midnight Hotline, Natassya Sianturi clame : «Put my number in your memory» («Mets mon numéro en mémoire»). Le conseil est précieux, et on attend, fiévreux, le prochain rendez-vous.

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