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[L’album de la semaine] Rogê : le Brésil dans la peau 


(photo DR)

Cette semaine, Le Quotidien a choisi d’écouter le dernier album de Rogê, Curyman II, sorti le 22 novembre sur le label Diamond West Record. Chaud les cœurs !

Avec sa belle gueule, son teint hâlé et la délicatesse de son jeu de guitare, Rogê (à prononcer «haw-zeh») aurait pu être connu depuis longtemps. Il n’en est rien, alors qu’il sera quinquagénaire en 2025 avec plus de vingt ans de carrière derrière lui. Oui, l’homme cultive la discrétion. Un sens de la réserve qui s’observe jusque sur les pochettes de ses deux derniers albums.

Sur l’une, on ne voit qu’une silhouette lointaine qui avance, pensive, au bord de la mer. Sur l’autre, un homme aux contours flous qui jongle de la tête avec un ballon. Si le personnage semble apprécier une forme de modestie – plutôt estimable dans un siècle tapageur et poseur – on imagine pourtant ses intentions. La plage, le football et cette appellation sucrée qui coule en bouche : pas de doute, on est au Brésil.

Il en est même aujourd’hui l’un des principaux ambassadeurs, lui l’héritier d’une longue culture résumée en un terme : la MPB, pour «musique populaire brésilienne», qui, au milieu des années 1960, a contribué à la naissance d’une nation en mettant en avant toute la diversité de son identité, métissée et syncopée. Mais pour en être un digne représentant, il faut se nourrir d’elle.

C’est ce que va faire, de longues années durant, Rogê. Formé au conservatoire, c’est sur scène qu’il va construire sa réputation, et pas n’importe laquelle : celle du Carioca da Gema. Un club où il gagne le titre de «prince des nuits de Rio» et où, surtout, il fait de belles rencontres : avec notamment Seu Jorge (ils réaliseront à quatre mains, en 2020, l’EP Night Dreamer) et Arlindo Cruz (ils seront nommés ensemble aux Latin Grammys pour Na Veia, sorti en 2015).

Entre les deux, comme pour confirmer l’amour qu’il porte pour son pays, il compose le thème des Jeux olympiques de 2016 qui se tiennent à domicile. On le pense lancé, mais voilà que tombe l’ombre du fascisme, avec Jair Bolsonaro au pouvoir. Avec sa famille, Rogê prend alors la poudre d’escampette, direction Los Angeles, glissant au passage une dernière production au titre qui fait sens : Nômade.

Tant de soleil et de joie fait un bien fou

Cela n’empêche pas le chanteur-guitariste de vouloir poursuivre son engagement de cœur : faire connaître le Brésil et sa musique, loin de ses frontières et loin des clichés. La crise sanitaire passée, pour mener à bien sa mission, il pourra s’appuyer sur deux nouvelles figures d’importance : Thomas Brenneck, homme à tout faire de groupes soul-funk (Menahan Street Band, El Michels Affair), et Arthur Verocai, 79 ans, légende vivante de la bossa-nova.

Avec à ses côtés un producteur inspiré et inspirant, un précieux arrangeur et toute une équipe de musiciens américains, Rogê est armé et balance un premier pavé dans la mare l’an dernier avec Curyman (appellation inspirée de son vrai nom, Roger José Cury), vite suivi par son jumeau, Curyman II. Dessus, comme il le précise, il s’agit de proposer «une palette colorée de la musique populaire brésilienne» relevée d’une sauce locale, comprendre plus affirmée, plus ample.

C’est peu de le dire : sur dix morceaux (vingt-et-un au total dans les deux œuvres), il se lâche et vise large, mettant côte à côte la samba, la bossa-nova, les ballades façon «saudade», des expérimentations héritées du tropicalisme et des orientations pop luxuriantes, emportées par des violons et des chœurs féminins qui ne font jamais semblant. Le tout sur un rythme qui fait bouger les hanches, où la fameuse cuica trouve malgré tout une place.

Outre la forme, faite de mélodies réjouissantes richement orchestrées, Rogê soigne également le fond en évoquant, ici et là, l’histoire de son pays, son passé colonial et, par prolongement, l’influence des communautés afro-brésiliennes. A Revolta dos Malês, par exemple, raconte la plus grande révolte d’esclaves que le pays ait jamais connue, tandis que la chanson Rio de Janeiro e Janeiro énumère les noms indigènes de nombreuses localités de la ville. Bref, la panoplie est complète. Textes et musique résonnent ici au diapason, à tel point que les deux disques se mélangent et se répondent sans heurt, et qu’un troisième Curyman est déjà évoqué. Rogê aurait d’ailleurs tort de se retenir : avec les temps sombres et froids que l’on traverse, tant de soleil et de joie fait un bien fou.

 

 

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