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[L’album de la semaine] Fontaines D. C. : la larme à l’œil 


(photo DR)

Cette semaine, Le Quotidien a choisi d’écouter le dernier album de Fontaines D.C., Romance, sorti le 23 août.

Celui qui a découvert Fontaines D. C. en 2017-2018, sur une scène improvisée perdue au cœur d’un pub de Dublin et d’une nuit sans fin, doit aujourd’hui tirer un double constat : d’abord que le temps passe trop vite, et surtout, que le punk ne meurt jamais vraiment, puisqu’il se transforme. Est-ce d’ailleurs une bonne chose ?

À l’écoute du dernier disque de ses protégés, rapidement considérés comme l’un des groupes rock les plus passionnants du moment, il est en droit de se poser la question, et ce, malgré le puissant battage médiatique qui fait de lui le favori au titre de l’album de l’année. Car où sont les guitares orageuses et la batterie mordante, même dans les morceaux les plus mélancoliques ? Pourquoi cette voix prend-elle toute la place ? Et c’est quoi cette pochette dégueulasse ?

Oui, les heures et les années filent, mais jusque-là, pour Fontaines D.C., il n’y avait pas de quoi se plaindre. Petit retour en arrière. Il y a d’abord eu Dogrel (2019), bijou révolté qui porte en lui certains attributs que l’on retrouve outre-Manche : un penchant pour les oubliés du libéralisme, des élans littéraires parfois dépressifs et une rage à fleur de peau, comme en atteste une musique sans effet de manche, directe, immédiate.

Fort d’un succès soudain et peut-être apeuré par cette brutale mise en lumière, le quintette allait se donner deux ans pour tout changer : A Hero’s Death (2020) posait la première pierre avec ses airs moins belliqueux, plus complexes aussi. Et Skinty Fia (2022) prenait le relais, plus calme que le précédent, mais toujours habité par une colère, pour le coup contenue, sous les radars.

Les grosses salles étaient déjà programmées : il fallait un album à la hauteur

Trois disques de très belle tenue qui posaient une intention : ne pas rester cantonné à un style, mais expérimenter, encore et encore. Une philosophie qui donnait à Fontaines D.C. le statut de groupe inventif et excitant, avec son ADN bilieux mais ses envies, jamais masquées, de briser un jour le plafond de verre. Et qui sait, devenir incontournable, comme le suggérait le premier tube de Dogrel, Big, sur lequel son chanteur Grian Chatten beuglait : «My childhood was small/ But I’m gonna be big» («Mon enfance fut modeste, mais je vais devenir grand»).

C’est finalement Romance qui fait le grand saut, avec ses mélodies pop conçues pour la reconnaissance d’un plus large public, qui aime partager ses chansons préférées sur TikTok ou les reprendre en chœur lors des concerts. Les grosses salles étaient déjà programmées : il fallait un album à la hauteur.

Ça serait malhonnête de dire que ce quatrième disque n’est pas bon, car il a ses moments réussis, de l’amour à revendre et des messages à faire passer (sur l’individualisme rampant et l’implacable crise écologique entre autres). Il y a également des arrangements de cordes subtils, des rythmes légèrement enlevés (notamment sur Starburster) et un peu d’électronique. Mais pour le reste, et c’est ce qui fait tache, Romance manque d’originalité.

Derrière les épaisses couches de vague à l’âme, on perçoit, dans un écho régulier, des choses déjà mille fois entendues, qui ramènent à la fois aux Smiths, à U2 et à Oasis (encore eux!). Sans oublier cette voix, celle de Grian Chatten, qui domine l’ensemble comme le devant de la scène lors de la campagne promotionnelle aux États-Unis.

Finalement, cet album ressemble plus à la suite de son escapade en solo à l’été dernier (Chaos for the Fly) qu’à une production de Fontaines D.C. Deux raisons notables à cela : un changement de label (Partisans pour XL Recordings) et, plus sensible encore, de producteur, avec le remplacement de Dan Carey, grand manitou de la scène post-punk britannique, par James Ellis Ford, à la liste de collaborations très «mainstream» (Arctic Monkeys, Blur, Depeche Mode, Kylie Minogue ou Pet Shop Boys).

Là aussi, ça pose des intentions, et son fan, toujours vaillant et accoudé au même bar, ne comprend pas. Il ne jugera pas, certes, car chacun est libre de faire ce qu’il veut, avec honnêteté, et qu’il faut respecter ses anciennes passions. Il bougera peut-être même la tête ou tapera du pied sous son tabouret à l’occasion d’un ou deux morceaux sortis de l’enceinte, mais il le sait : le cœur n’y est plus vraiment. Même sa Guinness semble aujourd’hui trop tiède.