Cette semaine, on écoute Gadzooks Vol. 1 de Caleb Landry Jones, sorti sur le label Sacred Bones Records le 24 septembre. Critique.
Caleb Landry Jones aime le jeu. Sous de multiples formes. Devant la caméra, quand il incarne au plus près ses personnages. Au cœur du studio, aussi, où il se laisse aller à l’expérimentation sans entrave. Même les pochettes de ses albums témoignent de son appétence pour la métamorphose : le teint blanc et les lèvres rouges, poudré et perruqué tel un marquis fumant lascivement une cigarette sur The Mother Stone; grimaçant et comme habité par la folie, surmonté d’une chevelure de feu façon grunge à la Kurt Cobain sur Gadzooks.
Oui, il est à l’aise dans tous les rôles, sauf quand il s’agit d’aller chercher son prix d’interprétation masculine lors du dernier festival de Cannes, en juillet, honoré pour sa performance dans le film Nitram de Justin Kurzel. Une consécration qu’il recevra en bredouillant : «Je suis trop ému, merci, merde», le souffle coupé par l’émotion. Il a pourtant du bagage, lui qui a commencé le cinéma à l’âge de 13 ans, en 2007, avec les frères Cohen (No Country for Old Men).
Depuis, il est devenu une valeur sûre du milieu indépendant américain, notamment dans la peau d’un junkie (Heaven Know What) ou en mâle toxique dans la troisième saison de Twin Peaks – sans oublier ses prestations dans deux films retenus aux Oscars en 2017 (Get Out et Three Billboards). Employé de station-service sous la coupe de Jim Jarmusch (The Dead Don’t Die), il doit également au réalisateur branché – et lui aussi musicien – un coup de pouce qui l’a mis dans les petits papiers de Sacred Bones Records, label qui a depuis sorti ses deux albums.
Il y a eu donc The Mother Stone, sorti en plein confinement en mai 2020, assurément l’un des albums les plus étonnants de l’année avec ses airs de carnaval sous LSD, qui se trouve des liens de parenté avec David Bowie (période Berlin), Syd Barrett, génie tourmenté des Pink Floyd, ou encore les Beatles, avec lesquels le rapprochement est encore plus prononcé en raison de sa diction empruntée à Lennon (autant au père, John, qu’à l’enfant, Sean). Des attributs qui se retrouvent sur Gadzooks. Logique, puisqu’ils se sont construits parallèlement, quasiment au même moment.
Dans ce cabaret musical, chacune des chansons cherche à semer l’auditeur
Tandis que le premier terminait d’être mixé, le second était en effet enregistré. Il s’est ensuivi alors de longs mois rendus complexes par le covid et le rythme des tournages, Caleb Landry Jones n’ayant pu rejoindre le producteur Nic Jodoin et regagner le célèbre Valentine Recording Studio de Los Angeles (théâtre des succès des Beach Boys et Bing Crosby) que tardivement. Et plutôt que de faire dans le trop généreux (pour ne pas dire indigeste), Sacred Bones a décidé de scinder Gadzooks en deux parties.
Ce premier volume, bien plus concis que The Mother Stone (qui étalait tout de même ses quinze chansons sur plus d’une heure), ne cherche pas pour autant la facilité, comme l’affiche la dernière chanson, épique, qui court sur plus de vingt minutes (This Won’t Come Back). Les autres ne pâlissent pas et donnent le change, sautant de jolies mélodies à des compositions bizarroïdes, baroques et barrées, psychédéliques et franchement théâtrales. Dans ce cabaret musical, chacune d’elles cherche à semer l’auditeur, terminant toujours leur course dans des endroits inattendus. Du coup, on imaginerait bien Caleb Landry Jones jouer pour le grand écran Frank Zappa ou Captain Beefheart. À coup sûr, la proposition lui plairait, et l’incarnation serait totale.
Grégory Cimatti