Cette semaine, Le Quotidien a choisi d’écouter le dernier album de Kim Deal intitulé Nobody Loves You More, sorti le 22 novembre sur le Label 4AD.
C’est une sacrée coïncidence, double même : les deux muses du rock alternatif américain des années 1980-1990 se nomment l’une comme l’autre Kim et, surtout, elles ne sont pas chanteuses, mais bassistes. Du côté de New York, une grande blonde, Kim Gordon, icône de Sonic Youth et compagne de Thurston Moore, autre pilier de la formation.
Elle s’en sépare en 2011, ce qui entraîne au passage la fin du groupe. Une rupture sentimentale et artistique dont elle se remettra notamment avec une biographie (Girl in a Band) et deux albums menés en solo où elle se réinvente musicalement : No Home Record (2019) et The Collective, sorti cette année.
Du côté de Boston, une petite brune, moins «arty» que son alter ego : Kim Deal. Dès le début, elle est de l’aventure des Pixies qui, entre 1986 et 1991, en quatre disques seulement, s’imposeront comme l’un des fers de lance du mouvement. Elle aussi s’affranchira du trop pesant leader masculin, l’omnipotent Frank Black, mais bien plus rapidement que sa consœur, en créant The Breeders avec sa jumelle Kelley.
Au bout, une belle aventure, toujours en cours, ponctuée par une dernière production (All Nerve, 2018) et, surtout, une précédente devenue majeure dans l’histoire du rock : Last Splash (1993) et son tube imparable Cannonball qui fait bouger les têtes.
Cela dit, en dehors d’un essai éphémère sous le nom de The Amps en 1995 et quelques singles autoproduits cantonnés à l’anonymat, elle n’a jamais manifesté ouvertement l’envie de se lancer en solo. C’est désormais chose faite avec Nobody Loves You More, échappée en solitaire qu’elle s’offre à l’âge de 63 ans.
Je ne sais pas où je suis, et je m’en fous !
Le moins que l’on puisse dire, c’est que Kim Deal a bien fait d’attendre avec cet album qui s’est construit dans la patience (les premières chansons remontent à plus de dix ans) et l’incertitude. La pochette, où elle pose à côté d’un flamant rose, comme perdue au milieu de l’océan sur son podium-radeau, en est une belle illustration. Une manière de dire qu’elle part ici à la découverte de sa propre «terra incognita», mais sans trembler, toujours aussi cool qu’à l’époque.
Les premiers mots, tirés de la chanson-titre, le confirment : «I don’t know where I am / And I don’t care» («Je ne sais pas où je suis, et je m’en fous»). C’est donc à l’aveuglette, sans boussole ni phare, qu’on la suit dans ce périple à fleur d’eau. Onze titres et 35 minutes de cabotage sur lesquels Kim Deal affiche sa soif de liberté.
Non, elle n’est pas là pour calculer, mais bien pour se faire plaisir, tout en montrant qu’il n’y a pas que la guitare électrique dans la vie. Évidemment, il y en a toujours, et certains morceaux restent rugueux. Mais la majorité d’entre eux préfèrent la pop et l’orchestration soyeuse, comme en témoigne l’utilisation de violons, de cuivres et même d’ukulélé. Un arsenal peu habituel chez elle.
Si avec Nobody Loves You More, elle montre, avec brio, sa volonté d’aller de l’avant, le disque n’évite toutefois pas les coups d’œil dans le rétroviseur. Il y a ainsi la présence, à ses côtés, de sa sœur et d’autres membres des Breeders, anciens comme récents (Mando Lopez, Britt Walford et Jim Macpherson).
Il y a également celle, fantomatique, de ses deux parents, morts à douze mois d’intervalle peu avant la pandémie de Covid-19, et de Steve Albini, grand gourou de la production chez qui l’album a été enregistré, lui aussi décédé en mai dernier. Pour rappel, c’est lui qui accoucha du premier album des Pixies, mythique, Surfer Rosa (1988).
Pour tout ça, cette escapade sans filet aurait pu être plombante. Il n’en est rien. Elle préfère la vie à la perte avec ses mélodies solaires, ses envolées éclectiques et son doux swing. De sa voix tranquille, parfois proche de celle d’un crooner, Kim Deal rappelle dans un symbole que derrière les tragédies de l’existence, il y a encore de beaux moments à passer. On la croit sur parole, quitte à la suivre jusqu’au bout du monde sur un bateau de fortune.