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L’Albanie malade de son cannabis


Toutes les substances du cannabis ne sont pas interdites au Luxembourg. La Cannathèque ne vend que des produits dérivés du "CBD", une substance non psychotrope aux effets paramédicaux avérés (Photo d'illustration : AFP).

L’Albanie a un obstacle sur la route de son rapprochement avec l’Union européenne: ses champs de cannabis éparpillés dans ses montagnes, fléau gardé sous silence par les candidats aux élections législatives de dimanche.

Si le Maroc est le principal fournisseur de résine, « l’Albanie reste la principale source d’herbe de cannabis exportée vers l’Union européenne », selon un récent rapport d’Europol.

Ce commerce illégal représenterait un tiers de la valeur du Produit intérieur brut (PIB) de l’Albanie, voire plus, selon des sources occidentales.

Rien que pour le cannabis produit dans la région de Lazarat (sud), le « royaume du cannabis », la valeur marchande annuelle a été évaluée à 4,5 milliards par an dans un rapport de 2013 de la police italienne, quelques mois avant une opération de police dans ce secteur.

Avant de partir surtout vers l’étranger, ces sommes alimentent la corruption et empoisonnent le climat politique.

Jusqu’à un mois avant le scrutin, le Parti démocratique (droite) menaçait de boycotter le scrutin de dimanche, accusant, sans fournir de preuves, le Premier ministre socialiste Edi Rama de collusion avec les trafiquants. Dans un entretien mardi à l’AFP, le patron de l’opposition, Lulzim Basha, lui a encore reproché d’avoir soutenu « une poignée de criminels (qui ont) fait de l’Albanie un dépôt de drogue ».

Toutefois globalement, pendant la campagne, les deux camps « se sont mis d’accord pour un cessez-le-feu » dans les accusations mutuelles, dit Petrit, petit cultivateur du nord de l’Albanie, qui ne donne pas son nom. « Mais l’incertitude est énorme pour les pauvres qui ne savent pas comment ils vont assurer leur survie », poursuit-il.

« Pas de caïd derrière les barreaux »

Les gens comme Petrit paient seuls pour le moment le prix de la lutte antidrogue. « Il n’y a pas de caïd derrière les barreaux », résume pour l’AFP le cultivateur qui se prépare à émigrer en Grèce.

Sous pression internationale, les autorités mènent des campagnes médiatisées de destructions de champs de cannabis. Depuis janvier, la police albanaise a saisi près de 40 tonnes, en plus de 20 tonnes en Italie et 10 en Grèce.

Les autorités ont détruit plus de 2,5 millions de plants, qui poussent dans des zones difficiles d’accès. Près de 400 personnes ont été arrêtées et, dans le volet de la lutte contre la corruption, plus de 70 policiers ont été poursuivis ou remerciés.

Mais ces résultats « sont loin d’illustrer les véritables niveaux de production et les quantités exportées, en particulier vers la Grèce ou l’Italie », relève un diplomate occidental sous couvert d’anonymat.

Dans son dernier bilan d’étape sur l’Albanie, candidate à l’adhésion à l’UE depuis 2014, la Commission européenne estime que les autorités « ont échoué dans l’identification des groupes criminels » et juge que le « suivi judiciaire efficace des procédures est rarement assuré ».

Corruption

Les programmes pour convaincre les agriculteurs de trouver de nouvelles sources de revenus (safran, sauge, tourisme vert, biologique…) sont trop artisanaux pour avoir un impact notable: la culture du cannabis, « contrôlée par des réseaux criminels internationaux », est devenue « un moyen de subsistance pour de nombreuses familles pauvres », explique Fabian Zhilla, analyste spécialiste des questions de sécurité.

Aux affaires depuis 2013, Edi Rama a promis d' »éradiquer le phénomène une bonne fois pour toutes ». Un plan d’action a été mis sur pied en avril. Mais cette lutte va de pair avec celle contre la corruption.

Vice-ministre de l’Intérieur en charge de la cellule de lutte contre le cannabis, Rovena Voda ne nie pas le problème: « Il y a eu des cas de blanchiment d’argent dénoncés à la police, mais pour lesquels le bureau du procureur a suspendu l’enquête ».

Elle annonce « une guerre sans merci », promet que l’Albanie ne sera bientôt « plus sur la liste noire des pays qui cultivent du cannabis ». Le colonel Giovanni Conti, de la Garde des Finances italienne qui organise les survols des zones de culture, assurait mi-juin qu’après une vingtaine de rotations, ses équipes n’avaient repéré aucune plantation. Dans son rapport annuel sur les drogues, le département d’Etat relevait que les vols italiens avaient permis d’identifier 2.086 plantations en 2016.

Mais selon les experts, il faudra attendre juillet, quand la plante pousse, pour voir les vrais résultats.

Le Quotidien / AFP