Restauré depuis 2012, L’Adoration de l’Agneau mystique se révèle sous un jour nouveau. Les volets extérieurs du retable des frères Van Eyck sont à nouveau visibles depuis une semaine, à Gand. Mais il n’a pas encore fini de surprendre.
L’Adoration de l’Agneau mystique, chef-d’œuvre de la peinture primitive flamande (1432), est l’une des œuvres d’art les plus connues au monde après la Joconde. Et pourtant, 600 ans après, le polyptyque des frères Van Eyck réserve encore des surprises. En témoigne sa saisissante restauration en cours à Gand, dans le nord de la Belgique.
«On peut dire que c’est l’équivalent de la redécouverte de la Sixtine après la restauration du plafond de Michel-Ange», dit Marie Postec, conservatrice-restauratrice à l’Institut royal du patrimoine artistique (IRPA) de Bruxelles. «L’œuvre originale était cachée par des voiles de saleté, altérée, les couleurs étaient totalement faussées. Aujourd’hui, c’est la même chose qu’on retrouve ici, on a cette chance d’assister à la renaissance d’une œuvre», explique la restauratrice lors de la présentation de la première phase du traitement de l’Agneau.
Depuis une semaine, les volets extérieurs du retable et leurs cadres sont de retour à la cathédrale Saint-Bavon de Gand, en Flandre-Orientale, après quatre années d’étude et de traitement par l’IRPA, qui avait déjà effectué la dernière grande restauration de cette œuvre, en 1950/51. Sur les huit panneaux restaurés – le polyptyque en comporte 24 au total –, on peut admirer l’Annonciation de la Vierge, deux Saint-Jean en «grisaille» (l’Évangéliste et le Baptiste, le patron de la cité gantoise), et les donateurs du tableau : Joos Vijdt, riche marguillier, et son épouse Elisabeth Borluut.
Le mystère du panneau volé
L’Agneau mystique, qui symbolise le Christ, apparaît lui au centre des panneaux intérieurs du retable. L’animal était aussi l’emblème des corporations de drapiers quand, au Moyen Âge, Gand était la capitale du commerce du drap de laine en Europe. À l’époque, le polyptyque, à l’interprétation complexe (on y décèle des références au texte de l’Apocalypse), restait fermé la plupart du temps. On ne l’ouvrait que pendant les grandes fêtes chrétiennes. Ouvert, il mesure alors 3,75 m x 5,20 m.
Au cours de l’étude, l’équipe de dix restaurateurs a découvert que les peintures sur bois qui ornaient le revers des volets de l’Agneau étaient recouvertes de vernis anciens, qui avaient jauni, et d’une épaisse couche de surpeints datant au moins du XVIIe siècle, sinon du XVIe. «Aujourd’hui, on ne couvre pas la matière originale. Mais autrefois, les restaurateurs étaient plutôt des peintres, en fait, et plutôt que de retoucher minutieusement, lacune par lacune, ils repeignaient la totalité d’une figure», décrypte ainsi Marie Postec.
Pour redécouvrir l’Agneau «authentique» des frères Van Eyck, commencé par Hubert et terminé par son cadet Jean douze ans plus tard, il a fallu enlever soigneusement les surpeints, centimètre par centimètre. «On n’avait pas d’espace derrière, on avait un fond noir uniforme… Et là, en restaurant, on trouve un espace, on retrouve une matière lumineuse. On retrouve des plis aussi du XVe siècle qui avaient été simplifiés par les repeints, donc c’est une lecture totalement différente», détaille la restauratrice française.
«La robe, par exemple, de la donatrice était repeinte dans un rose sombre… Aujourd’hui, c’est un rose vraiment lumineux et clair», pointe-t-elle. Commencée en octobre 2012, la renaissance de l’Agneau, financée à 80 % par les autorités flamandes (à hauteur de 1,5 million d’euros), n’est pas pour autant achevée. La deuxième phase doit commencer dès cette semaine. «Il reste maintenant tout l’intérieur à restaurer et donc les panneaux du registre inférieur du retable ouvert sont maintenant au musée des Beaux-Arts (MSK) de Gand, où un atelier est aménagé pour la restauration depuis le début du projet», précise encore Marie Postec.
Ces panneaux intérieurs sont actuellement remplacés par des reproductions photographiques. L’Agneau mystique entièrement restauré devrait retrouver la cathédrale Saint-Bavon en 2020, consacrée «année thématique Van Eyck». Entièrement restauré? Pas tout à fait. Manque toujours le panneau des Juges intègres, mystérieusement disparu une nuit d’avril 1934, jamais retrouvé et remplacé par une copie, restant l’une des plus fascinantes énigmes de l’histoire de l’Art.
De fait, le chef-d’œuvre des frères Van Eyck, inscrit au patrimoine mondial de l’Unesco, fut volé à maintes reprises au long des siècles. Sa résurrection s’accompagne d’une exposition intitulée «Restauration/Révélation – Les volets extérieurs de l’Agneau mystique», qui se tient jusqu’au 28 mai 2017 au musée Caermersklooster de Gand.
Le Quotidien / AFP