Conteur hors pair et passionné d’histoire, Académicien au parcours peu académique, Alain Decaux est décédé dimanche matin à l’âge de 90 ans.
Académicien, ministre de la Francophonie de Michel Rocard (1988-91), cet homme soigné, au regard bienveillant et à l’urbanité désuète, à la voix rieuse et tendre, était couvert d’honneurs. « Vous faites partie du paysage français », lui avait dit François Mitterrand en 1991, en lui remettant les insignes de commandeur de la Légion d’honneur.
Pourtant, après une soixantaine d’ouvrages, des milliers d’émissions de radio et de télévision, des scénarios de films et des pièces de théâtre, cet historien non universitaire a su longtemps garder l’enthousiasme de l’adolescent émerveillé, découvrant, alors malade, les aventures du comte de Monte-Cristo.
« Je ne saurai jamais si Monte-Cristo m’a sauvé la vie, mais je lui dois ma passion pour l’histoire », disait-il, après s’être battu, avec succès, pour l’admission de la dépouille d’Alexandre Dumas au Panthéon.
« Le type qui parle tout seul »
En 1951, Alain Decaux lance pour la Radiodiffusion française avec André Castelot, « La tribune de l’histoire », qui sera diffusée chaque semaine sans interruption jusqu’en 1997, c’est-à-dire de Vincent Auriol à Jacques Chirac ! Et pour la télévision française, il crée « La caméra explore le temps » (avec Stellio Lorenzi et son complice, André Castelot), diffusée de 1957 à 1966.
Enfin, de 1969 à 1987, dans « Alain Decaux raconte », puis « Alain Decaux face à l’histoire » et « Le dossier d’Alain Decaux » -sur la deuxième chaîne, Antenne 2, puis TF1-, il est chaque mois seul à l’écran pendant une petite heure.
Lunettes d’écaille carrées et costume sobre, il se lève parfois pour présenter des cartes ou des croquis. C’est aussi un acteur : par exemple, il mime le général de Gaulle levant les bras, lors d’une émission sur l’attentat du Petit-Clamart.
« Le type qui parle tout seul », comme on l’appelle volontiers, s’exprime simplement mais avec fougue, ne dédaigne pas les digressions. S’il se trompe, il rectifie lors de l’émission suivante, toujours avec naturel. Il entrecoupe par de petits gestes de la main ses portraits -du Masque de fer à l’Aiglon, de Sissi à Ravaillac, en passant par les Borgia-, n’hésitant pas aussi à suspendre son récit pour créer le suspense.
Parcours peu académique
Ce fils d’avocat est né le 23 juillet 1925, à Lille. Adolescent, il écrit des pièces de théâtre. Il fait du droit, mais se passionne pour l’histoire qu’il étudie à la Sorbonne « sans le moindre souci d’obtenir un diplôme ».
Précoce, il est couronné en 1950 par l’Académie française dès son second livre, Letizia, la mère de Napoléon Bonaparte. Biographe de Dumas ou Hugo, il écrit des livres aux titres simples, mais efficaces : Les grands mystères du passé, Grands secrets, grandes énigmes ou Grandes aventures de l’histoire.
Il a été élu à l’Académie française en 1979.
En 1988, le Premier ministre Michel Rocard, qui adorait ses émissions, l’invite à entrer au gouvernement. Il s’y occupera de la francophonie, sous l’égide de Roland Dumas. Il raconte cette expérience dans un récit désenchanté, Le Tapis rouge : « Je me faisais des illusions sur le rôle des ministres. Pendant des années, j’avais écrit dans mes livres : le ministre décide. Depuis, j’écris : le ministre souhaite… »
Le Quotidien/AFP