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L’absurde comme remède au Théâtre ouvert Luxembourg


Parmi les créations proposées, celle signée par le Luxembourgeois Tullio Forgiarini, "Du ciel". Ce dernier s'empare de la crise des réfugiés pour en faire un vaudeville surréaliste. (illustration tol.lu)

Pour questionner les troubles sociétaux et s’en alléger, le TOL s’empare de l’absurde, fil rouge d’une saison entre rires et larmes.

C’est bien connu dans le milieu théâtral : le Théâtre ouvert Luxembourg (TOL) aime s’amuser des sujets qui fâchent, cherche la légèreté dans le chaos de nos existences bancales, interroge ce qui gêne, tel un miroir grossissant devant lequel on évite de se regarder. Incarnation de cet état d’esprit badin, son président, Nicolas Steil, qui se dit «bouleversé» par ces «temps incertains», s’étonne ainsi de voir une programmation aussi riche – forte de 13 pièces – alors que les finances sont minces. «Soit il y a un compte caché quelque part, soit les comédiens jouent à l’œil !»

Au vu des rires et des mouvements de tête visibles dans l’assistance, aucun des deux. Juste un peu de débrouille et de soutien, sans oublier une bonne dose d’espoir, autant d’ingrédients qui font que le TOL reste debout malgré la tempête. Comme dans un supplémentaire pied de nez à ses angoisses et ses questionnements sur un futur douteux, c’est sous le signe de l’absurde que sa directrice artistique, Véronique Fauconnet, et son équipe ont placé cette nouvelle saison. «Un sujet à la fois vaste et réducteur», soutient-elle avec justesse, car il convoquera toute une galerie de sentiments et d’états (grotesque, tendresse, douceur, violence…).

«J’étais dans une sorte de rage d’écriture»

Quatre pièces, en l’occurrence les créations proposées pour 2016/2017, symbolisent l’idée, avec, en premier lieu, celle signée par le Luxembourgeois Tullio Forgiarini, Du ciel. Ce dernier s’empare de la crise des réfugiés pour en faire un vaudeville surréaliste, mariant «polar, humour noir et satire». «J’étais dans une sorte de rage d’écriture», explique-t-il. Cette histoire, qui est née de façon « fluide, spontanée», raconte les péripéties d’un homme qui découvre le corps d’une femme gonflée d’eau… au beau milieu de son salon !

Du rire jaune, on passe au burlesque avec La Putain de l’Ohio, de Hanokh Levin, auteur déjà maintes fois joué au pays. Comme son nom l’indique déjà, on est ici dans une comédie très «crue», qui débute «au-dessous de la ceinture pour mieux s’élever ensuite». Mise en scène par Frédéric Frenay, elle confronte un père, son fils et une prostituée à travers des problématiques aussi diverses que l’impuissance, l’argent, le vieillissement et l’amour. Quand l’expression «l’humour est la politesse du désespoir» trouve tout son sens…

Troisième proposition originale, Moulins à paroles évoque des «fragments de vie» de trois femmes. Une œuvre du dramaturge Alan Bennett, célébré notamment pour sa série sur la BBC, Talking Heads. Quand on sait qu’il a travaillé avec le réalisateur Stephen Frears, on imagine plus facilement la teneur de cette pièce toute en «humanité». Une œuvre «salvatrice» à la fois «drôle et poétique», confirme l’équipe du TOL.

L’Ouest solitaire, de Martin McDonagh (le TOL avait déjà joué en 2013 l’une de ses pièces, La Reine de beauté de Leenane), conclura la saison de façon «physique et violente», précise le metteur en scène, Marion Poppenborg. Ici, ce sont deux frères colériques, une nymphomane au grand cœur et un curé rendu alcoolique par ses paroissiens qui se rendent coup pour coup. Un quatuor placé dans un village perdu et sordide d’Irlande, ce qui ne laisse rien augurer de bon. «C’est grotesque, désespéré, mais drôle», ajoute-t-elle. Pour le reste, dès la semaine prochaine, Sascha Ley, accompagnée du contrebassiste Laurent Payfert, ouvrira les réjouissances en musique (on la retrouvera d’ailleurs dans La Putain de l’Ohio).

Pour arriver à ladite «riche» affiche évoquée par Nicolas Steil, ajoutons deux pièces en tournée (Autour d’Erik Satie et Les Lois de la gravité), des spectacles pour et par les jeunes (Des gens à fables, La Malle de Molière et Scènes de la vie conjugale), une lecture (Europae/Europes, aux Casemates), du Samuel Beckett en version originale (Exploring Beckett) et enfin, une réécriture du célèbre Songe d’une nuit d’été de William Shakespeare. Beaucoup de légèreté, donc, dans un monde de brutes. Le philosophe «du désespoir», Emil Cioran, l’avait souligné en son temps : « Moins vous pouvez justifier un acte, plus il est généreux et pur. L’absurde est donc l’expression de la plus haute liberté.»

Grégory Cimatti