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La «vraie» Amérique de Nicolas Mathieu


La connexion de Nicolas Mathieu avec la littérature américaine, outre l’influence qu’elle a eue sur l’auteur vosgien, est à trouver dans «le parti pris géographique». (photo Astrid di Crollalanza)

En résidence littéraire aux États-Unis, Nicolas Mathieu est allé s’imprégner de «l’Amérique, la vraie», jusqu’à se laisser surprendre par les liens tissés avec la France de ses romans.

Memphis, Tennessee : à quelque 8 000 kilomètres de la Lorraine désindustrialisée qui a fait connaître sa plume, Nicolas Mathieu se balade dans les allées du manoir d’Elvis Presley. Le vainqueur du Goncourt 2008 est venu s’imprégner du sud profond des États-Unis. À côté des meubles kitsch du «King» et des couples de retraités en goguette, ses surprises et ses fascinations pour une Amérique qui, en réalité, infuse profondément dans ses descriptions chirurgicales de la France rurale.

«J’ai un tropisme pour la littérature du sud depuis longtemps et des influences américaines énormes», lance-t-il d’emblée, assis sur un banc. Le lac, point central de son roman primé Leurs enfants après eux ? Il en a eu l’idée en écoutant The River, de Bruce Springsteen. Et si ce récit se déroule uniquement en été, «c’est aussi parce que je cherchais la chaleur du sud» américain, celle des romans de William Faulkner, dit-il. C’est d’ailleurs à Oxford, la ville du Mississippi où s’était installé le grand auteur américain, que Nicolas Mathieu a posé ses valises pour un mois de résidence littéraire financé par une institution française, la Villa Albertine.

Si, dans une «grande maison pleine d’animaux empaillés», il a commencé un nouveau livre, l’habitant de Nancy est d’abord venu tenter de voir «l’Amérique, la vraie quoi, pas celle des côtes» et des élites. En réalité, tient-il à préciser sous le soleil de la mi-octobre, «l’Amérique pauvre, l’Amérique « redneck »», il ne l’a vue que «sur le bord de la route».

«Goût du confort»

Il en a parcouru, pourtant, des kilomètres. Atlanta, La Nouvelle-Orléans, Montgomery, des universités, des musées, faisant naître chez lui quelques réflexions. «Une des choses qui est partagée entre la France que je décris et l’Amérique blanche – telle que j’ai cru la comprendre –, c’est un immense sentiment de colère et une grande nostalgie», relève l’auteur. «Ce sont des mondes du « ça a été ».» Le Vosgien qui a tant lu sur l’Amérique s’attendait à cela, mais il s’est tout de même laissé surprendre.

«Derrière chaque belle maison, on se dit : « Comment cette fortune a été faite ? »» Sur la route du sud, mille détails lui révèlent la «présence fantomatique de l’esclavage». En fait, son «gigantesque poids», «cet héritage-là», lui avait «en grande partie échappé». Sous les tubes du «King» qui soufflent dans l’air de Memphis, il résume : «J’étais venu chercher l’Amérique des petits Blancs et de Faulkner et je repars avec l’Amérique des droits civiques et de Toni Morrison.»

Sur le bord de la route, une autre chose le frappe : une société qui roule en grosses voitures et «consomme à mort». Les «gamins qui font 60 kilos et qui sont dans des tanks», les lumières toujours allumées, «tout ce plastique»… «Il y a quand même un goût du confort qui est gigantesque», remarque-t-il. Sobriété, écologie… «Ici, on part de très loin.» «Je pense qu’il va y avoir ceux qui subissent et ceux qui sont climatisés», prédit-il. C’est encore là l’une de ses formules qui font mouche.

Ancrage et censure

Ancré dans son «sillon» si français, Nicolas Mathieu se range pourtant du côté des auteurs américains qui, comme lui, cherchent à «prendre des vies qui ne sont pas grand-chose, et puis les héroïser», montrer «ce qu’elles peuvent avoir de quasi mythologique». C’est le jeune Anthony dans le Goncourt 2018, c’est Christophe dans Connemara (2022). Toujours dans le Grand Est.

Il voit justement là sa connexion avec la littérature américaine : «le parti pris géographique». «Ils sont très ancrés territorialement, les écrivains d’ici (…) Quand on est de Missoula (NDLR : dans le Montana, au nord), on n’est pas d’Oxford», dit-il. En France, «ça marche moins comme ça» – sauf pour lui. «Ce que je fais est très ancré, et ça m’a conforté là-dedans», note Nicolas Mathieu. «Moi aussi, il faut que je creuse ma vallée.»

Mais une chose du monde américain de l’édition le turlupine : les nouveaux «sensitivity readers» (relecteurs en sensibilité), qui pointent incohérences culturelles et stéréotypes dans les manuscrits. «J’en ai parlé avec des auteurs. Le moins que l’on puisse dire, c’est que ça ne les met pas en joie, le fait de devoir passer par ces fourches caudines.» «Oui, martèle Nicolas Mathieu, il y a des livres qui sont interdits, il y a des auteurs qui doivent revoir leur copie parce que les éditeurs ont peur de la manière dont ça pourrait affecter le lectorat.» «J’espère que nous en serons prémunis», glisse-t-il. Mais, fatigué des polémiques, il prévient en rigolant : «À un moment, j’étais le « Monsieur France périphérique », puis le « Monsieur accro aux réseaux », je n’ai pas envie de devenir le « Monsieur sensitivity reader »!».