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La viande de lama, un pari gastronomique en Bolivie


Tartare de lama préparé dans un restaurant de La Paz, le 9 mars 2016. (Photo : AFP)

Dans le luxueux restaurant «Gustu» de La Paz, la chef danoise Kamilla Seidler prépare avec soin un tartare. Mais au lieu du boeuf, elle utilise du lama, une viande traditionnelle jugée plus saine et nourrissante.

«Avant on disait que c’était la viande des pauvres, mais maintenant c’est la plus chère du pays», explique cette chef de 32 ans, dont le tartare agrémenté de câpres, de riz et de manioc, se vend 75 bolivianos (plus de 10 dollars). A des milliers de kilomètres de là, German Churqui, éleveur de lamas dans les Andes boliviennes, se réjouit de ce regain d’appétit pour une viande qui a toujours fait partie de la gastronomie traditionnelle indigène.

«La viande de lama est bonne, donc nous avons l’espoir que le prix monte» car elle «peut facilement faire concurrence» aux autres viandes rouges, raconte cet homme de 45 ans, père de quatre enfants et à la tête d’une exploitation de 150 bêtes à 3 800 mètres d’altitude dans la région de Turco (ouest). Gentiment moqué chez «Tintin», le lama, un camélidé apprécié pour sa laine et utilisé comme bête de charge, rencontre un certain succès dans le milieu de la haute cuisine.

Cette réussite n’est pas nouvelle : cela fait dix ans que le lama s’est invité sur les tables des restaurants de luxe de la région, qui proposent par exemple un carpaccio de lama accompagné de quinoa et saupoudré de parmesan, le tout surmonté de petites feuilles de salade. Mais la publication en octobre dernier de mises en garde alarmantes de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) sur les risques liés à la consommation de certaines viandes lui ont donné un coup de pouce.

Viande plus saine

En se basant sur plus de 800 études, le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC) – une agence de l’OMS – a classé la viande transformée, essentiellement la charcuterie, dans la catégorie des agents «cancérogènes pour l’homme», tandis que les viandes rouges – qui, selon le CIRC, incluent le porc et le veau – ont été classées comme «probablement cancérogènes».

Bien que viande rouge elle aussi, la chair de lama affiche une importante teneur en protéine, mais surtout une faible teneur en cholestérol qui, selon la Bolivie, la rendent plus saine. Dès 2013, le ministère du Développement rural avait publié un rapport assurant que la viande de lama affiche «une haute teneur en protéine faiblement grasse, influant sur la formation d’un niveau faible de cholestérol, assimilable par le corps humain et avec un faible pourcentage d’acide urique».

A Turco, la majorité des 5.200 habitants vivent de l’élevage de lamas… ou plutôt, survivent. German Churqui vend le kilo de viande en gros à 20 bolivianos (environ 3 dollars), chaque bête lui apportant 800 à 1.000 bolivianos (110 à 140 dollars), à raison de 20 à 40 animaux vendus dans l’année. «Cela nous sert à vivre, nous ne faisons qu’élever des lamas», dit-il. La viande est ensuite transformée en «charqui» ou viande déshydratée qui se vend sur les marchés jusqu’à 120 bolivianos le kilo (plus de 17 dollars).

Epoque pré-inca

Le procédé, millénaire, consiste à faire sécher la viande, recouverte de sel, au soleil pendant plusieurs jours. On trouve des lamas dans toute la région andine, en Equateur, au Chili, au Pérou et en Argentine… mais la Bolivie, avec ses 2,8 millions de bêtes, détient à elle seule 60% du cheptel d’Amérique du Sud. Sur le marché «Las Américas», à Oruro, Maria vient d’acheter 16 kilos de cette viande pour 336 bolivianos (48 dollars). «Je vais préparer un rôti de lama au four, c’est assez nourrissant et plus sain que la viande de boeuf», affirme cette femme au foyer.

Comme le rappelle Demetrio Luna, technicien du ministère du Développement rural, l’usage de la viande de lama date de l’époque pré-inca. «Nos ancêtres consommaient la viande de lama et l’utilisaient comme produit d’échange, pour obtenir du blé, de l’orge, du maïs et de la coca», raconte-t-il. Mais si le pays veut réussir son pari et commencer à exporter cette viande, il doit clairement améliorer toute la chaîne de production, souligne José Luis Rios, membre des services techniques du département d’Oruro : «la gestion du bétail, l’alimentation, la santé animale et l’amélioration sur le plan génétique».

Le Quotidien/AFP