Avec « Relatos salvajes », l’Argentin Damián Szifron signe un film à sketchs dans la grande lignée du ciné italien, maître du genre dans les années 1960-70. C’est aussi décapant qu’hilarant.
Avec déjà quelques 3,5 millions de spectateurs, « Relatos salvajes » est devenu le film le plus vu dans l’histoire du cinéma argentin. (Photos : DR)
Un aveu signé Damián Szifron : « Un jour, alors que je dînais tranquille avec ma femme, le garçon a débarrassé la table et la bouteille de vin que nous n’avions pas terminée. J’ai demandé à ce qu’elle revienne. La situation a dégénéré. On a failli en venir aux mains. À ce moment précis, j’ai compris qu’il suffisait de pas grand-chose pour exploser… » À ce moment-là, le jeune cinéaste argentin sait aussi qu’il tient là le sujet de son deuxième film, Relatos salvajes (Les Nouveaux Sauvages en français), présenté à Cannes dans la sélection officielle du festival 2014.
Reste alors à trouver l’histoire et sa mise en forme. Rapidement, Damián Szifron a les réponses à ses interrogations : « J’ai toujours aimé les anthologies, la multiplicité et la diversité. Ça remonte à l’époque où j’ai appris à lire ! J’apprécie les histoires courtes, Maupassant, Poe et aussi Borges, Salinger ou encore Hitchcock. Et il y avait toujours un dénominateur commun : le crime, le mystère, la terreur… » Pour son film, il confie aussi qu’il a tenu à trouver « un sujet fédérateur, afin d’être concis et direct. Alors, quoi de plus inspirant que les gens surmenés, maltraités, au bord de la crise de nerfs ? Là, il y a un sacré potentiel ! »
> « Perdre le contrôle apporte du plaisir »
Et parce qu’il est un tenant du court, le cinéaste a opté pour un film à sketchs, ce genre dans lequel les réalisateurs italiens excellaient dans les années 1960-70. En six sketchs donc, l’Argentin va dresser le portrait de personnages affreux, sales et méchants… Bref, les nouveaux sauvages ! Ainsi, on a un top model dans un avion qui découvre que tous les passagers ont un ami en commun, avec lequel ils sont en froid ; un conducteur au milieu du désert qui fait une queue de poisson à un automobiliste énervé et ne compte pas en rester là ; un spécialiste en explosifs qui assiste à l’enlèvement de son véhicule par la fourrière ; le fils d’un politicien renommé qui renverse une femme enceinte ; et une mariée qui doit admettre que celui à qui elle vient de dire oui la trompe… Dans ce film produit par les frères Agustin et Pedro Almodovar, grands fans des scénarios auscultant les mœurs humaines, on nage en plein dans ce monde contemporain où le stress, la dépression, la vengeance ou la destruction sont monnaie courante. Nombreux en sont victimes, ils craquent face à l’inégalité et l’injustice, ils sont les nouveaux sauvages.
Et chez Szifron, ils franchissent cette frontière si ténue qui fait passer de la civilisation à la barbarie. Amour trahi, passé refoulé qui ressurgit, violence dans un détail quotidien, tout et tant est prétexte au « pétage » de plombs, dans cet état de vertige où, très vite, on perd le contrôle. Pour ce film en six temps, aujourd’hui devenu le plus vu dans l’histoire du cinéma argentin (3,5 millions de spectateurs), Damián Szifron s’est inspiré de faits réels, d’événements arrivés à des proches ou rapportés dans la presse.
« La plupart du temps, on réprime ses pulsions et on se conforme aux règles de la société, explique-t-il. Mais quand on passe à l’acte, c’est viscéral, instinctif. Et perdre le contrôle apporte du plaisir et une certaine jubilation. Ça défoule, même si le retour à la réalité est douloureux. » Et d’ajouter : « Le monde dans lequel nous vivons, trop exigeant, ne tient pas compte de notre désir. On fait le dos rond en permanence… jusqu’au point de non-retour. Une prise de conscience générale provoquerait la révolution, voire la chute de la civilisation… » À aucun moment, le réalisateur ne fait dans la nuance. La charge est lourde, et c’est à la fois décapant, méchant et drôle !
De notre correspondant à Paris Serge Bressan