Inspiré de deux textes d’Albert Camus, « Loin des hommes » est le deuxième film du Français David Oelhoffen. Une œuvre servie magistralement par Reda Kateb et Viggo Mortensen.
Le film de David Oelhoffen met côte à côte Viggo Mortensen et Reda Kateb. Un choix avisé. (Photos : DR)
En imaginant son deuxième film, le réalisateur David Oelhoffen a décidé de ne pas reprendre le titre du texte d’Albert Camus : L’Hôte. Ainsi, il expliquera qu’il ne souhaitait pas que le spectateur imagine qu’il s’agissait là uniquement d’une lecture ciné, d’une adaptation au plus d’un texte du prix Nobel de littérature 1957. Et c’est aussi la raison pour laquelle Oelhoffen a pioché dans un autre texte de Camus, écrit en 1930 : Chroniques algériennes, dans lequel l’auteur décrivait le système colonial en vigueur en Algérie dans la première moitié du XXe siècle et les conditions de vie déplorables des Algériens.
Tout cela donne Loin des hommes, un film lumineux tout centré sur une belle histoire d’amitié. Primé aux festivals de Sarlat et de La Réunion, ce second film du réalisateur français (après Nos retrouvailles en 2006 avec Jacques Gamblin) a pour décor l’Algérie au cœur des années 1950. Dans la vallée, la rébellion gronde. Les colons ne sont pas en odeur de sainteté – et c’est dans ce paysage que deux hommes que tout oppose doivent fuir au-delà des crêtes de l’Atlas algérien.
> Au-delà des religions et des communautés
C’est l’hiver glacial en haute montagne. L’instituteur Daru escorte Mohamed, paysan accusé d’avoir tué son cousin. Les villageois et les colons les poursuivent, réclament la loi du sang – l’instituteur et le paysan, compagnons d’aventure, vont se révolter. Lutter pour retrouver leur liberté menacée. Par rapport à L’Hôte, la nouvelle d’Albert Camus, David Oelhoffen a apporté quelques modifications : ainsi, chez le prix Nobel de littérature, Daru l’instituteur est un « pied-noir » français alors que, dans le film, c’est un français d’origine étrangère mais qui n’est pas vraiment intégré à la communauté pied-noir. Une nuance qui, selon Oelhoffen, a permis de « créer un conflit dans la personnalité de cet homme et d’en faire un personnage plus profond ».
Autre modification, évoquée plus haut : le titre du film. Le réalisateur a voulu dépasser le texte de Camus. Il a opté pour trois mots : loin des hommes. « Ce qui me plaît dans cette expression, c’est qu’elle s’applique aux deux personnages. D’abord à Daru, qui s’est bâti un petit royaume dans lequel il vit en maître, loin de tout et de tous ; Mohamed l’obligeant à faire ce voyage commun au cours duquel ils fuient le danger que représentent les hommes, les autres hommes. Puis à la fin, elle s’applique à Mohamed qui va devoir vivre loin, dans le désert. »
Ce film à caractère philosophique (et uniquement, s’il en était resté au propos « camusien ») flirte aussi avec le western. Mais alors, pourtant habité de bons sentiments et de bonne volonté, David Oelhoffen peine à convaincre. Mais Loin des hommes n’en demeure pas moins un beau film à la réalisation soignée, à la photographie délicatement éclairée. Surtout, on a là un long métrage servi par deux formidables comédiens : Reda Kateb, 38 ans et découvert en 2009 dans Un prophète de Jacques Audiard, et Viggo Mortensen, 56 ans et vu, entre autres, dans The Lord of the Rings ou Eastern Promises de David Cronenberg. Ils rappellent, sans trop en faire, que les hommes ont toujours la possibilité de se rencontrer au-delà des communautés et des religions…
De notre correspondant à Paris, Serge Bressan