Voici enfin le film de Seth Rogen et Evan Goldberg. Après avoir déclenché la colère de la Corée du Nord, « The Interview » ne se révèle ni scandaleux ni comique. Juste cynique et ennuyeux.
Dans « The Interview », la CIA charge Dave Skylark (James Franco) et Aaron Rapaport (Seth Rogen) d’assassiner Kim Jong-un. (Photos : DR)
Une évidence : le monde a été dépassé par les événements. C’est le triste constat que tout spectateur va faire après avoir vu The Interview, le film de Seth Rogen et Evan Goldberg, qui devait arriver dans les salles en fin d’année passée, mais que les studios Sony avaient décidé de ne pas projeter suite à une attaque de leur système informatique. On rappellera qu’alors, on a vu des hackers un peu partout ; qu’on annonçait les comploteurs partout sur la planète et que même l’écrivain Paulo Coelho était prêt à acheter pour 100 000 dollars les droits dudit film pour le diffuser librement et gratuitement aux quatre coins de la planète par l’intermédiaire de son blog…
Mais voilà, après tout ce remue-ménage, The Interview arrive enfin dans les salles et, alors qu’on nous avait promis le grand brûlot subversif, on n’a, à l’arrivée, qu’une comédie de potaches, un long sketch de gosses pas sages. Beaucoup de bruit pour si peu… La production a pris la peine d’indiquer que « des scènes, des propos ou des images peuvent heurter la sensibilité des spectateurs » – est-ce bien utile quand on voit un animateur de talk-show et son producteur se retrouver impliqués dans un complot meurtrier à l’échelle internationale ?
> Quand on apprend qu’Eminem est gay…
Oui, voilà le « pitch » de The Interview… Avec ce journaliste télé et son producteur, passés maîtres dans l’art de l’entretien fracassant, qui décrochent, événement rarissime, l’interview de Kim Jong-un, le leader de la Corée du Nord. Juste une précision, en passant : la CIA a chargé les deux hommes d’assassiner celui que l’oncle Sam tient pour un tyran. N’empêche! Les deux lascars, Dave Skylark (joué par James Franco) et Aaron Rapaport (interprété par l’un des deux réalisateurs, Seth Rogen) sont de parfaits crétins.
L’un comme l’autre sont racistes – se moquant des « jaunes » et prenant sans cesse l’accent asiatique, et sexistes – leur talk-show fait l’apologie sans vergogne du trash et des paillettes. Autant dire qu’on a là deux de ces énergumènes qui tiennent la télévision comme un outil d’utilisation du temps disponible du cerveau du téléspectateur pour le rendre plus perceptible aux publicités débiles, mais qui font vivre la chaîne !
Bien sûr que les deux réalisateurs, Seth Rogen et Evan Goldberg, chargent le régime communiste nord-coréen mais, dans leur comédie potache, ils en mettent aussi une bonne couche sur l’Amérique et les Américains. Eh oui, avec Rogen et Goldberg, la Corée du Nord et Kim Jong-un, c’est le décor – on a même la sensation qu’ils auraient pu tout aussi bien prendre pour prétexte les Martiens ou quelques ennemis ancestraux de l’Amérique, comme les Indiens, les Russes ou encore les musulmans…
D’entrée, nos deux lascars, Skylark et Rapaport, réussissent un gros coup et obtiennent un scoop (vrai ? Faux ? Qu’importe, plus c’est gros, mieux c’est…). Donc, le scoop : le rappeur Eminem confie qu’il est gay et a de sacrés problèmes avec sa mère – ce qui expliquerait et justifierait sa misogynie légendaire. Et il semble bien que cette interview, Kim Jong-un l’a vue, lui qui est fan du show Skylark Tonight. Dans le même temps, l’animateur télé s’est mis en tête d’obtenir l’interview du chef d’État nord-coréen, et tout se goupille à ravir, puisque Kim appelle Dave, et l’affaire est conclue. C’est alors que s’en mêle la CIA qui n’a qu’une obsession : dézinguer le leader suprême !
Dans The Interview, on a tous les ingrédients de la comédie. Références à la culture pop, blagues scatologiques, débilité des personnages,… Bref, tout ce qui a fait le charme et la réputation de la « nouvelle comédie américaine ». Mais, après le ratage de Nos pires voisins (réalisé par Nicholas Stoller avec Seth Rogen et Zac Efron) et Dumb & Dumber De (avec Jim Carrey), cette « nouvelle comédie », avec The Interview, commence à toucher véritablement le fond. Ça fuse chez Seth Rogen et Evan Goldberg mais, malheureusement, cela tombe très souvent à plat. Ce brûlot tant attendu, tant annoncé, n’est rien d’autre qu’une interview emplie de cynisme et furieusement ennuyeuse.
De notre correspondant à Paris, Serge Bressan