Nommé dans six catégories aux Oscars, « American Sniper » est le plus gros succès commercial de Clint Eastwood. Ce qui n’empêche pas la polémique sur l’idée de patriotisme de gonfler.
Dans la peau du vrai soldat Chris Kyle, l’acteur Bradley Cooper voit le monde à travers la lunette d’un fusil. (Photos : DR)
Avec sa liste de films en tant qu’acteur et/ou réalisateur longue comme le bras, il est considéré comme une légende du cinéma. Le nombre de films dans lesquels il a joué, celui de ses réalisations, Clint Eastwood, né le 31 mai 1930 à San Francisco, Californie, avoue ne pas les connaître. Il dit simplement que celui dont il est, aujourd’hui, le plus fier, c’est le dernier-né, cet American Sniper qui arrive aujourd’hui dans les salles.
Doté d’un budget ordinaire (58,8 millions de dollars, environ 44 millions d’euros), au box-office américain, il a déjà rapporté plus de 300 millions de dollars (environ 225 millions d’euros). C’est même à ce jour le plus gros succès commercial de l’ex-Inspecteur Harry. C’est aussi un film qui peut cartonner aux prochains Oscars dimanche avec six nominations mais qui ne va pas arranger sa réputation de « grand méchant Clint » parce que American Sniper a déclenché, outre-Atlantique, une sacrée polémique.
Originellement, donc, il y a eu le livre témoignage de Chris Kyle, sniper de l’armée américaine pendant la guerre d’Irak. On lui attribue 160 personnes tuées – la rumeur assure que le nombre serait en fait supérieur à 200, soit un record dans l’histoire militaire américaine. Ensuite, Steven Spielberg et David O. Russell ont acheté les droits du livre pour l’adapter au cinéma. L’affaire a traîné, ne s’est pas faite à cause de problèmes de budget et, finalement, le studio Warner s’est tourné vers Clint Eastwood et lui a proposé la réalisation du film.
Dans le même temps, un ami avait passé le scénario d’American Sniper au réalisateur qui a pris grand plaisir à le lire. Alors, le tournage pouvait commencer avec, dans le rôle du sniper, Bradley Cooper et dans celui de sa femme, la belle Sienna Miller. Et voilà Chris Kyle, tireur d’élite des Navy SEAL, envoyé en Irak avec, pour seule mission, la protection de ses camarades. Sa précision chirurgicale sauve d’innombrables vies humaines sur le champ de bataille et, tandis que les récits de ses exploits se multiplient, il décroche le surnom de « The Legend ».
> « Dieu, mon pays, ma famille… »
Sa réputation va dépasser les lignes ennemies, sa tête est mise à prix, il devient une cible privilégiée des insurgés… Malgré le danger et l’angoisse dans laquelle vit sa famille, Chris participera à quatre batailles décisives durant la guerre en Irak et fera honneur à la devise des SEAL : « Pas de quartier ! » Présentant American Sniper, Clint Eastwood a confié : « Chacun rêve sa vie en pensant qu’elle est juste. Mais qui peut se dire bon à 100 % ? »
Une fois encore, et c’est sans surprise et à son image, le réalisateur d’Impitoyable ou encore Million Dollar Baby propose un héros de chair et de sang, tout habité par un individualisme conséquence de désirs personnels et de situations contraignantes. Inévitablement, le spectateur d’American Sniper se pose la question sur l’attrait que provoque la guerre sur Eastwood.
Lui assure : « Je n’aime pas la guerre », mais dans la vie, il ne cache pas ses sympathies pour le Parti républicain et comprend le souhait de tant de citoyens américains de posséder une arme. Une fois encore, avec ce film furieusement oppressant sur un sniper coincé entre la guerre et sa famille, Eastwood revêt les habits de l' »American hero » mais entretient la confusion qui enveloppe, depuis tant et tant d’années, sa personnalité.
Ironie du sort, Chris Kyle, qui a survécu à ses multiples séjours irakiens, a été tué le 2 février 2013, à 38 ans, par un ancien soldat souffrant de syndrome de stress post-traumatique. Le procès de cet ex-marine de 27 ans, qui encourt la prison à vie, s’est ouvert la semaine dernière au Texas. Chris Kyle l’avait pris sous son aile par le biais d’une fondation qu’il avait contribué à créer pour aider les anciens soldats malades.
Dans son autobiographie, Chris Kyle, qui se destinait à être cow-boy de rodéos avant de s’engager dans l’armée, affirmait sa dévotion à « Dieu, mon pays, ma famille ». Il avait déclaré, sans nuances, ne pas avoir de remords au sujet des personnes qu’il avait tuées et avait même regretté de « ne pas en avoir tué davantage »…
De notre correspondant à Paris Serge Bressan