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«La Rose de Versailles», manga toujours révolutionnaire


«Certains disaient que femmes et enfants ne comprendraient pas» une œuvre abordant un sujet historique, se souvient l'auteure du manga, Riyoko Ikeda. (Photo : Kana)

Costumes chamarrés, intrigues de palais et amours passionnels pendant que couve la Révolution française : le célèbre manga La Rose de Versailles s’expose actuellement à Tokyo et continue d’émerveiller des Japonaises de tous âges, 50 ans après sa création.

Publiée initialement en feuilleton entre 1972 et 1973 dans un hebdomadaire nippon spécialisé dans le genre «shojo» (mangas pour filles et adolescentes), l’œuvre a notamment généré une série d’animation à succès baptisée en France Lady Oscar et des comédies musicales au Japon.

Son récit se concentre sur les destins tragiques de ses deux héroïnes : la reine Marie-Antoinette et un personnage de fiction, Oscar François de Jarjayes, une jeune fille élevée comme un garçon et devenue capitaine de la garde de la souveraine.

«On ne saurait trop insister sur l’importance et l’influence de ce manga dans la culture populaire japonaise», rappelle Deborah Shamoon, experte de ces domaines à l’université nationale de Singapour. L’œuvre est devenue synonyme «d’une esthétique luxurieuse et rococo au Japon», employée aujourd’hui dans la mode ou les cosmétiques, relève cette chercheuse.

Et Oscar est une «héroïne incroyable», car bien qu’étant un officier commandant des hommes, «elle ne cherche pas à cacher sa féminité» : elle est «forte et courageuse et pleine de compassion pour autrui», ajoute-t-elle.

Vingt millions d’exemplaires

L’histoire d’amour d’Oscar avec son ami d’enfance André, «qui l’admire pour ses qualités et n’essaie pas de la changer ou de la rendre plus fidèle aux stéréotypes féminins», était aussi remarquable au Japon pour l’époque. Aujourd’hui encore, «cette égalité dans une relation hétérosexuelle reste rare dans le manga», souligne Deborah Shamoon.

D’autant plus vrai qu’à l’époque, il y avait un «fossé» encore plus grand entre les hommes et les femmes au Japon et «certains disaient que femmes et enfants ne comprendraient pas» une œuvre abordant un sujet historique, a rappelé l’auteure du manga, Riyoko Ikeda, dans un commentaire publié pour l’exposition à Tokyo.

Âgée de 24 ans aux débuts de La Rose de Versailles, elle s’était juré de «faire un tabac» pour faire mentir les sceptiques. Plus de 20 millions d’exemplaires du manga ont été vendus dans le monde, et les nombreux spectacles produits autour de l’œuvre entre 1974 et 2014 par la revue Takarazuka – une troupe théâtrale japonaise exclusivement féminine – n’ont attiré pas moins de cinq millions de personnes.

L’exposition à Tokyo présente notamment quelque 180 planches originales du manga, émouvantes avec leurs dialogues collés à la main. À l’entrée, les visiteurs – essentiellement des femmes – se prennent volontiers en photo avec des personnages en carton grandeur nature, surplombant un parterre de roses au milieu d’arcades blanches et dorées évoquant un couloir du château de Versailles.

Une œuvre subversive

Rieko Takahama, 58 ans, est une fan de la première heure. «C’était une vision très glamour du monde. C’était très populaire dans ma génération», raconte-t-elle, les yeux pleins de nostalgie. Comme de nombreux autres touristes japonais attirés par la France grâce à ce manga, cette dernière a visité le château de Versailles il y a dix ans. Une sorte de pèlerinage : «Je ne voulais pas mourir avant d’y être allée!»

Ma mère lisait ce manga depuis longtemps, et grâce à elle je l’ai découvert quand j’étais petite», témoigne Manami Suzuki, 22 ans. «Quand j’ai vu Oscar pour la première fois, j’ai été fascinée par la façon dont elle était cool, belle et forte» à la fois, ajoute cette étudiante.

La Rose de Versailles reflète aussi la vie politique japonaise bouillonnante des années 1960-70. Oscar, qui finit par se rallier aux révolutionnaires et participer à la prise de la Bastille, «parle beaucoup des inégalités sociales et de la nécessité pour le peuple de se révolter pour affirmer ses droits», précise Deborah Shamoon.

Elle poursuit : ce manga «dresse un parallèle avec les idéaux de la nouvelle gauche japonaise des années 1960», un mouvement dont Riyoko Ikeda était proche dans sa jeunesse. Si sa dimension politique a pris aujourd’hui la poussière, La Rose de Versailles demeure une œuvre subversive, estime cette universitaire. «Se concentrer sur une esthétique qui plaît aux filles reste révolutionnaire, parce qu’une grande partie de la pop culture est toujours déterminée par les intérêts des garçons et des hommes.»

L'histoire

France, au printemps 1770. L’archiduchesse Marie-Antoinette, fille de l’impératrice d’Autriche Marie-Thérèse de Habsbourg, se marie à 14 ans avec un Bourbon, le futur Louis XVI. La dauphine est protégée à tout instant par le capitaine de la garde royale, Oscar François de Jarjayes, qui n’est autre que la fille cadette d’une respectable famille de soldats.

Un jour, alors que Marie-Antoinette se rend à un bal masqué à l’opéra, elle y fait la rencontre d’un gentilhomme suédois, Axel de Fersen, et en tombe amoureuse. Ils ont tous les trois 18 ans. Leur rencontre va, à jamais, bouleverser le cours de leur existence…