Accueil | Culture | La romancière Claire de Duras en poche après 200 ans

La romancière Claire de Duras en poche après 200 ans


(photo Folio)

Consécration tardive pour une romancière féministe réticente à devenir porte-drapeau : les œuvres de Claire de Duras viennent de paraître en livre de poche, 200 ans après son premier succès.

Édité chez Folio, les Œuvres romanesques de Claire de Duras regroupent quatre romans, dont un inédit, ainsi que deux ébauches, publiées, elles aussi, pour la première fois. Le nom de Duras fait inévitablement penser à la littérature du XXe siècle. Mais, près d’un siècle avant la naissance de l’autrice de Moderato cantabile et L’Amant, la duchesse de Duras, Claire de Coëtnempren de Kersaint, avait elle aussi connu le succès avec Ourika, un roman qu’elle avait publié anonymement en 1823.

Ce récit de la destinée d’une Sénégalaise en France, inspiré d’une histoire vraie, a été rédigé en quelques jours en décembre 1821, par Claire de Duras, femme noble de 45 ans, qui tient un salon littéraire à Paris. Pendant toute cette année du règne de Louis XVIII, on s’arrache des copies du manuscrit dans tous les cercles littéraires des capitales européennes. Il est précédé d’une recommandation flatteuse : Claire de Duras est l’amie de François-René de Chateaubriand, l’un des écrivains les plus en vue du monde à cette époque du romantisme.

Carrière fulgurante

L’autrice écrit également en 1822 un deuxième roman, Édouard, et un troisième, Olivier. Elle ébauche encore Le Moine du Saint-Bernard, qu’on a cru longtemps disparu, et qui paraît pour la première fois dans le recueil édité par Folio. En 1823, Claire de Duras achève Mémoires de Sophie, qui n’est pas dans ce volume. Et à une date inconnue, elle esquisse En Bretagne et Le Paria, deux autres ébauches à lire pour la première fois. Qui sait combien de livres cette romancière tardive portait en elle? Sa carrière fulgurante s’arrête avec sa mort en 1828, à 50 ans.

Ourika et Édouard ont fait sensation. Le premier n’a été tiré initialement qu’à une trentaine d’exemplaires, par une autrice qui n’a pas la prétention de se faire un nom, ni de diffuser ses écrits auprès du grand public. À partir de la commercialisation de son édition grand public, en 1824, Ourika va devenir un best-seller. Marie-Bénédicte Diethelm, docteur en littérature responsable de cette édition, parle en préface d’une «Ourika-mania». On adapte ce court roman au théâtre. On le traduit. On peint le personnage, on le met sur des produits dérivés. On imagine la suite de ses aventures, on le caricature…

Deux siècles plus tard, Claire de Duras a laissé l’image d’une plume injustement oubliée. Le quotidien Télégramme de Brest – sa ville natale – la qualifie de «romancière bretonne et icône « woke » (…) aujourd’hui célébrée dans le monde anglo-saxon pour la dimension révolutionnaire de ses romans». Pour Marie-Bénédicte Diethelm, elle était «sagement libérale».

«Pas d’avenir»

La Bibliothèque nationale de France (BnF) l’avait mise à l’honneur fin 2020 parmi une pléiade d’autrices à redécouvrir. L’universitaire Morgane Avellaneda la décrivait alors, dans le quotidien Libération, comme une «romancière de l’altérité», signant «un texte puissant, où l’intériorité de la jeune Sénégalaise est mise sur le devant de la scène».

Première héroïne noire de son temps, Ourika est une jeune femme bien éduquée par la famille française l’ayant adoptée à l’âge de deux ans, et qui observe avec acuité qu’elle restera, quoi qu’elle réussisse, une étrangère – une «négresse», comme elle le dit avec le langage de l’époque. Et se rend à l’évidence : «Je n’avais pas d’avenir, et je ne m’en doutais pas.»

La fin d’Ourika est triste. Celle de Claire de Duras le sera aussi. Accablée par le départ de sa fille aînée et le peu d’attention que lui prête Chateaubriand, dont elle est éprise, elle part à contrecœur en voyage, sur le conseil de ses médecins, en Suisse et sur les bords de la Méditerranée. Elle n’en reviendra pas.

Œuvres romanesques, de Claire de Duras. Folio.