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La révolte joyeuse de HK & Les Saltimbanks à la KuFa


«On ne passe pas sur les grandes radios et chaînes de télévision, car on n'estpas assez lisses ou futiles. On serait même trop politisés, alors qu'on ne roule pour aucun parti ni enseigne.» (Photo DR/Benoit Poix)

Ils viennent du nord de la France, ont le goût du partage et des musiques nomades, défendent un engagement citoyen chevillé au corps. HK & Les Saltimbanks, accordéon en bandoulière, font en plus danser. Rendez-vous ce vendredi soir à la Kulturfabrik d’Esch-sur-Alzette.

Il y a d’abord eu La Vie d’Adèle, film «palmé» à Cannes en 2013, puis ce même refrain, repris un peu partout dans les manifestations en France. La chanson On lâche rien est l’œuvre de HK & Les Saltimbanks. Le premier, Kaddour Hadadi de son vrai nom, ancien membre de Ministère des Affaires populaires (MAP), défend un engagement artistique et créatif, sans haine, sans armes et sans violence. «On n’est pas à contre-courant juste pour le plaisir de l’être», explique ce fils d’immigrés algériens.

Avec une musique empreinte de chanson, de hip-hop et de «world», pleine de vie et de saveurs, rythmée, chaloupée, résolument engagée et festive, lui et ses compagnons s’insurgent contre une société en pleine déliquescence. Chantres d’une musique francophone populaire, simple et efficace, HK & Les Saltimbanks distillent leurs utopies nomades sur disque – Citoyen du monde (2011), Les Temps modernes (2012) et Rallumeurs d’étoiles (2015) – comme sur scène. A l’occasion de sa venue à la Kulturfabrik, le chanteur raconte ses motivations et espoirs.

Chez vous, chanter va de pair avec une volonté mordante de faire bouger les choses. Cela a-t-il toujours été le cas ?

Kaddour Hadadi : Disons que c’est ce que je sais faire, même si j’aime également écouter de belles chansons d’amour ! Ce n’est pas quelque chose que l’on calcule, c’est une voie que l’on ne choisit pas. Tout vient de l’écriture. Ce sont les premiers textes qui donnent de la teneur à ces approches militantes.

Chanteur engagé, est-ce une expression dans laquelle vous vous reconnaissez ?

Je n’ai vraiment rien contre ce qualificatif, même s’il peut dire tout et son contraire. Le plus important est de répondre à certaines interrogations : engagé, d’accord, mais comment, pourquoi, avec qui, contre qui ? C’est plus à voir comme une formule incomplète, sauf si on précise la nature de ses engagements et comment on la relie avec sa musique.

Selon vous, la musique peut-elle changer le monde ?

(Il souffle) Je ne sais pas. Ce qui est sûr, par contre, c’est qu’elle accompagne les grands changements du monde, à toutes les époques. Parfois elle les amplifie, parfois elle les anticipe. Souvent, elle les conceptualise. La musique est un vecteur de toutes les révolutions.

Détracteurs et opposants vous voient comme des vendeurs d’utopies. Le rêve n’est-il pas pourtant nécessaire, voire vital, face au marasme actuel ?

Moi, je suis un utopiste convaincu, et j’essaie d’être convaincant! Après, il faut être vigilant vis-à-vis de ce l’on met dans nos utopies. Tant qu’il s’agit de combattre un ordre tyrannique, tout le monde est d’accord, mais il faut se prémunir de toute envie d’imposer des idées tout aussi absolues. Sinon, on devient tyran à son tour… L’utopie, dans ce sens, se rapproche de l’engagement : tout dépend de que l’on y met, ce qu’on défend. Le combat contre ce monde et ses défiances va de pair avec nos aspirations.

Quels sont alors vos désirs ?

De vivre, si possible, dans une société fraternelle, bienveillante, solidaire. Ce sont des choses très simples qui me parlent. Comment arrive-t-on à vivre les uns avec les autres, à danser ensemble à travers nos différences ? Comment on arrive à les accepter, à les respecter ? Autant d’enjeux très passionnants.

HK & Les Saltimbanks sont-ils d’utilité publique ?

(Il rigole) Je ne sais pas trop ce que ça veut dire, mais il faut bien que l’on serve à quelque chose ! Ça serait déprimant sinon.

Votre dernier album, Rallumeurs d’étoiles, dont le titre est inspiré d’un vers d’Apollinaire, s’attaque aux obscurantismes de tout poil. Est-ce votre combat du moment ?

Il y a eu cette chanson, Ce soir nous irons au bal, que l’on a faite en réaction aux attentats du 13 novembre à Paris. Mais on combat aussi la réponse qui a été donnée, à savoir une escalade militaire et un discours guerrier, sans oublier la xénophobie galopante qui accompagne ces élans belliqueux. C’est atroce ! À mes yeux, ce qui fait l’honneur de la France, ce ne sont pas ses avions, ses chars d’assaut, Éric Zemmour ou sa propension à répondre au sang par le sang. Non, ce sont ses philosophes, ses poètes, ses chercheurs, ses enseignants, sa culture, ses justes, ses résistants et trois mots : liberté, égalité, fraternité. Vous avez entendu un politique parler de fraternité et du vivre ensemble ?

Selon vous, comment sortir de cette pénombre ?

En apprenant à se connaître, et en trouvant des cadres dans lesquels on pourrait s’épanouir individuellement et collectivement. C’est de ça dont la France a besoin aujourd’hui ! Mais la réponse qui est donnée chaque jour par notre classe dirigeante, qui est dans cette course à l’échalote derrière les idées du Front national, n’est pas du tout dans cet ordre d’idées. C’est à la fois triste et irresponsable.

Dans les années 90 et 2000, beaucoup de groupes s’insurgeaient contre les injustices. Il semble qu’il y en ait moins aujourd’hui. La musique s’est-elle dépolitisée ?

Je ne sais pas, mais en tout cas, on fait tout pour que ce soit le cas. Pour prendre notre exemple, on ne passe pas sur les grandes radios et chaînes de télévision, car on n’est pas assez lisses ou futiles. On serait même trop politisés, alors qu’on ne roule pour aucun parti ni enseigne. On a juste des idées sur le monde qui nous entoure, et heureusement d’ailleurs! Mais la réponse qu’on attend est dans cet ordre d’idées : « Faites de la musique et laisser les gens compétents s’occuper de notre société ! » C’est sûr que le monde se porte de mieux en mieux ! Pour eux, la musique ne doit pas être exigeante, mais un bien de consommation. Une chanson, ça doit être un Big Mac sonore. Certains artistes et groupes acceptent cette soumission. D’autres non.

Entretien avec Grégory Cimatti

Ce vendredi à 20h, à la Kulturfabrik – Esch-sur-Alzette.