Toujours portée sur la diversification de ses propositions, la Philharmonie invite demain trois groupes de métal luxembourgeois. Une première pour l’établissement, décidé à décloisonner les genres et à rompre avec les clichés.
La Philharmonie entre choc des cultures et volonté d’ouverture. (Image : Nicolas Gégout)
Des métalleux à la Philharmonie ? Tiens donc ! Voilà, en effet, la dernière surprise de la prestigieuse salle du Kirchberg, qui, demain, verra débarquer une population peu habituée à ses largesses. Un choc des cultures, bien sûr bienvenu, mais qui laisse entrevoir des situations cocasses. Imaginons un instant le tableau : d’un côté, un rassemblement de jeunes gens portés sur la musique nerveuse et puissante, amateurs de tee-shirts à tête de mort et de joyeuses bousculades. De l’autre, un temple du classique, plus rompu aux costards tirés à quatre épingles et à la coupette de champagne. L’image a en tout cas le mérite de faire sourire, même si elle tient à de nombreux clichés – qui, disons-le tout de même, portent toujours une part de vérité.
D’abord, rassurons les aventuriers d’un soir, coupant avec leurs coutumes qui les amènent régulièrement dans les bars du pays, comme à la Kulturfabrik et à la Rockhal : non, ils ne seront pas refoulés à l’entrée en cas de nœud papillon mal ajusté, ni regardé de travers pour un cri d’enthousiasme malencontreux. Certes, il y aura éventuellement de la retenue, voire de la gêne, surtout quand est programmé au même moment dans la grande salle – avec, il est vrai, une demi-heure de décalage – le ballet K&K qui rend hommage à Johann Strauss. Peut-être qu’en Autriche, on saluera alors, plus tard, l’incroyable hardiesse qu’a le Luxembourg de mélanger les genres et les humeurs musicales.
> Lutte contre le vieillissement…
Ça ne serait d’ailleurs que justice pour la Philharmonie qui, depuis sa création il y a dix ans, poursuit inlassablement sa généreuse ouverture vers des sonorités hétérogènes (contemporaine, jazz, world, « easy listening »…) et vers un public toujours plus diversifié. Pour sortir des lieux communs, notons que seulement 20 % de sa programmation annuelle (selon les chiffres du rapport d’activité de 2013) est consacré au récital, à la musique de chambre et à celle dite d' »orchestre ».
Question d’attractivité, explique-t-on du côté de l’établissement : « On est toujours dans une quête de renouvellement, ce qui implique d’aller toujours plus loin dans les idées, et parfois de s’ouvrir à des projets assez fous au premier abord », précise François Kremer. Il évoque aussi, au passage, deux des missions principales qui incombent à l’établissement, à savoir « transmettre la musique et tisser des liens ». Doit-on y voir, aussi, un moyen de combattre le vieillissement – et par la force des choses, le rétrécissement – accéléré du public constaté depuis trente ans, obligeant les salles et autres ensembles classiques à revoir leur partition ? À coup sûr !
En Allemagne, aux États-Unis, en Angleterre et, de manière moins flagrante, en France, on observe une multiplication des propositions « alternatives » et participatives – garderie musicale, concerts « expresso » et « lunch », de nuit ou gratuits le dimanche, ou retransmis en direct sur internet… Autant de moyens pour éviter des salles vides – voire la banqueroute pour certains – et d’éviter la critique taxant d' »élitisme » ce genre de maisons. Preuve récente de l’orientation croissante, mardi, l’invité de la toute fraîche Philharmonie de Paris était le groupe anglais Tindersticks.
> Des « réserves » musicales
Au Luxembourg, si l’accent est mis clairement sur nos chères têtes blondes, gâtées par l’abondance des spectacles proposés, de multiples offres se développent tous azimuts, à l’instar de ce cycle « Fräiraim » – dans lequel s’incorpore ce projet « Philharmonöize », mené en collaboration avec le Centre de ressources de la Rockhal – qui entend créer des espaces libres pour la diversité des forces créatives de la musique au pays.
Un « ancrage territorial » qui a permis à Marly Marques et à Serge Tonnar, pour ne citer qu’eux, de découvrir l’acoustique de la Philharmonie. Il revient désormais à un trio de metal (Scarred, Retrace My Fragments et Cosmogon, sous couvert de l’ASBL Nöize Collective) de découvrir, non sans excitation manifeste, les lieux, même s’ils ont eu le droit à une mise en bouche il y a quelques jours…
« Ils sont venus faire des « repérages » et travailler avec nous. C’était sympathique ! On a même tourné une petite vidéo promotionnelle sur place », raconte François Kremer, tout aussi emballé et curieux de la soirée de demain. « C’est sûr, quand on écoute leur musique, il peut y avoir une certaine réserve. Et rapidement, on peut imaginer plein de choses… » Encore des clichés ! Lui a vu surtout « des jeunes gens bien préparés et motivés », et d’un « haut niveau technique ». L’exigence artistique : voilà au moins un terrain d’entente que personne ne songera à contester.
De notre journaliste Grégory Cimatti
« Philharmonöize« – Demain à partir de 20h30.