Natalie Ribbons et Jason Chronis reviennent avec leur univers onirique dans un album qui, grâce au charme de ses harmonies, sait mettre de la douceur dans un monde de brutes.
Écouter Tele Novella, c’est accepter de partir en voyage vers des terres inconnues, et dans un temps indécis. Il pourrait s’ouvrir sur le bruit d’une harpe ou d’un tambour métallique, invitant à pénétrer un rêve fait d’histoires farfelues, d’images surannées et de passion pour le bricolage fait «maison», avec des moyens du bord souvent limités (comme un enregistreur 8 pistes).
Musicalement, la balade se fait d’un pas calme, hésitant même, à travers une pop apprêtée à laquelle se mêlent sans hâte folk, country et psychédélisme. Rien d’inquiétant toutefois : Natalie Ribbons et Jason Chronis, les deux guides, sont d’une bienveillance naturelle.
Ceux-là se sont bien trouvés, partageant, chacun à leur manière, un goût pour le vintage. Pour elle, un magasin de vieilles fringues qui l’a fait traverser les États-Unis. Pour lui, une fièvre pour les vinyles d’époque, qu’il achète et qu’il vend au gré des foires. Avant d’être sur les routes, ils chargent leurs batteries du côté de Lockhart (Texas), petite ville perdue de l’immense Amérique, grillant sous le soleil. Au fil de leurs excursions, toutefois, ce qu’ils voient ne les dépayse pas tant que ça, soit d’autres cités poussiéreuses, oubliées et révolues. Des haltes pittoresques qui, au moins, auront donné les bases de Tele Novella : un univers onirique en technicolor.
Si vous avez une idée folle, vous n’avez qu’à la poursuivre!
On avait déjà eu droit à une première démonstration avec House of Souls (2016), avant l’excellent Merlynn Belle (2021), album porté par la chanson Paper Crown et son clip venu d’un autre âge, que l’on ne retrouve plus qu’en Super 8. Une sorte de boule à neige qui prendrait la poussière sur l’étagère, et d’où sortirait une musique envoûtante, aux airs country et aux instruments pas si orthodoxes que ça (connaissez-vous l’optigan et l’autoharpe?) La voix claire de Natalie Ribbons, aux folles ondulations, donne à l’ensemble un côté savoureux, comme le ferait un bonbon dont on aurait du mal à identifier le goût. Ce Poet’s Tooth, lui, franchit un cap : il lâche les rênes (des chevaux) pour s’ouvrir un peu plus aux mélodies.
Natalie Ribbons refuserait sûrement d’admettre que Tele Novella est plus professionnel. Un terme qui ne correspond pas à son état d’esprit : «En tant que musicienne, je suis au mieux médiocre !», dit-elle sans détour sur Bandcamp. Non, ce qui l’intéresse, poursuit-elle, c’est de «raconter des histoires», un peu comme une conteuse qui récite ses fables au coin du feu, et sous les étoiles. Autant de «petits mondes» composés de licornes, d’oeufs et de «cowgirl» aux dents pointues. Au-delà du côté magique, on y trouve également toute une galerie de personnages cherchant à se sortir d’un monde sec et sévère, avec toute la mélancolie que cela implique.
Spécialistes dans l’art de la fugue
Dans son entreprise, qu’il aborde avec légèreté et non désinvolture, Tele Novella fait fort en rendant sa musique, un brin avant-gardiste et cinématographique (comme David Lynch, quoi !), très accessible, grâce au charme des harmonies et cette pop (à l’esprit punk) qui sait mettre de la douceur dans un monde de brutes. Tout dans ce Poet’s Tooth coule sans heurt, au point que l’on se surprend à suivre le cours de ces dix morceaux sans vraiment savoir où l’on va. Autant, en tout cas, que nos deux loufoques accompagnateurs, spécialistes dans l’art de la fugue, selon une philosophie défendue par leur ami musicien et producteur, Danny Reisch : «Si vous avez une idée folle, vous n’avez qu’à la poursuivre!» Natalie Ribbons et Jason Chronis l’ont bien compris et l’appliquent à la lettre. C’est que les chemins de traverses sont si nombreux.
Tele Novella. Poet’s Tooth. Sorti le 6 octobre. Label Kill Rock Stars. Genre art-pop