Dans une nouvelle exposition qui ouvre vendredi au public, le musée national d’Histoire et d’Art montre la splendeur encore trop méconnue de l’art florentin baroque post-Renaissance. La collection réunie est assemblée depuis plus de 35 ans par Sir Mark Haukohl, qui propose ses plus belles pièces.
Quand il se remémore les débuts de la longue histoire d’amour avec les peintres florentins du XVIIe siècle, Sir Mark Haukohl le fait avec l’art et la manière : «C’était un jour de janvier à New York. À l’époque, on ne pouvait pas faire d’enchères par téléphone mais, étant originaire du Midwest, ce n’est pas la neige qui allait m’empêcher de m’y rendre. Il y avait très peu de gens à Sotheby’s et j’ai eu beaucoup de chance d’y trouver mon premier tableau de maître, de Taddeo Zuccaro, que j’ai pu acheter, jeune homme encore dans la vingtaine, simplement parce qu’il provenait d’un héritage.» Le collectionneur américain, résidant à Houston, au Texas, est conscient que cette toile a allumé une mèche.
Depuis plus de 35 ans, Sir Mark continue d’agrandir sa collection privée, la plus grande hors d’Italie en ce qui concerne l’art baroque florentin (moins connu que ses homologues vénitien ou romain), qui constitue aujourd’hui la majeure partie de l’exposition «Beyond the Medici», qui débute vendredi au MNHA.
«Florence au XVIe siècle a été le sujet d’énormément d’analyses et d’écrits, mais Florence au XVIIe siècle reste largement sous-étudiée», affirme Sir Mark. «L’histoire a délaissé les artistes post-Renaissance», ajoute le directeur du musée, Michel Polfer, également commissaire de l’exposition aux côtés de Ruud Priem, conservateur des collections d’art international du MNHA. L’idée de l’exposition «Beyond the Medici» a germé il y a cinq ans avec la rencontre, fortuite ou providentielle, de Sir Mark et Michel Polfer, à Luxembourg. Depuis 2018, elle tourne en Europe, la collection de la famille Haukohl étant enrichie de neuf tableaux appartenant à la collection du MNHA, tous exposés pour la première fois dans le musée.
«Entrer dans l’esprit» de la forme baroque
Trois salles aux murs rouges – couleur qui rappelle la Renaissance et le règne des Médicis – guident le spectateur tout au long du «Seicento», de la première moitié du siècle (première salle) à la seconde et jusqu’au début du XVIIIe siècle (troisième salle), avec un focus sur les Dandini (deuxième salle), famille de peintres qui a dominé une grande partie du siècle. Ruud Priem rappelle que «la collection de la famille Haukohl n’est pas une collection de tableaux immenses», ce qui permet à l’exposition de présenter une quarantaine d’œuvres «dans une atmosphère particulière» qui permet au spectateur «de mieux entrer dans l’esprit de cette forme d’art».
À noter que l’exposition est le dernier coup de projecteur du MNHA autour de l’art baroque après «De Mena, Murillo, Zuraban», sur les maîtres du baroque espagnol, et «Brushed by Light», l’exposition de photographies de Carla van de Puttelaar – une amie de Sir Mark, qui possède également une importante collection d’œuvres de femmes photographes depuis la fin du XXe siècle, et qui l’a photographié dans le plus pur style baroque pour le catalogue de l’exposition –, toutes deux visibles pour quelques semaines encore.
Les sujets des peintres exposés dans «Beyond the Medici» sont bien sûr ceux de prédilection de l’art florentin, en particulier les sujets religieux. On y découvre des toiles majestueuses comme L’Annonciation de la Vierge Immaculée (1709), chef-d’œuvre d’Alessandro Gherardini, qui a une importance toute particulière au sein de la collection et, personnellement, pour Sir Mark Haukohl, qui considère que l’histoire du tableau l’a «poussé dans l’entreprise du Medici Archive Project», qu’il a cofondé et qui répertorie 400 ans de dossiers de la famille Médicis.
«Gherardini était un grand voyageur. Le roi Frédéric IV du Danemark l’a rencontré lors d’un voyage à Florence et l’a ramené au Danemark avec lui, où il aurait peint ce tableau. En fait, il est signé et annoté au dos de la toile à la date du 10août 1709. C’est très excitant de découvrir ces informations et de les réunir.»
L’importance des cadres
Deux autres sujets religieux, beaucoup plus curieux, sont le Saint Jean-Baptiste de Cecco Bravo (1607-1661), au coup de pinceau quasi impressionniste, et le Saint François d’Assise de Francesco Lupicini (1588-environ 1652), où le sujet, qui occupe les deux tiers du tableau, regarde un crucifix sur lequel est cloué le Christ, à hauteur d’yeux, jouant ainsi avec l’échelle des plans et éliminant toute perspective. L’exposition comprend en outre toute une série de stupéfiants portraits de femmes, pour lesquels étaient connus les Dandini, mais aussi une nature morte (fait rare pour l’époque), une scène de la Commedia dell’arte ou une série de quatre reliefs signée Antonio Montauti (1683-1746) et qui représente des figures illustres de la Renaissance florentine, dont Machiavel et Galilée.
«Beyond the Medici» vaut aussi beaucoup –c’est assez rarement souligné dans les expositions– pour ses cadres, le plus souvent possible d’époque. «Les cadres d’époque sont extrêmement importants dans la collection, rapporte Sir Mark Haukohl. Nous avons passé énormément de temps avec des conservateurs de cadres à Florence, à la galerie des Offices, et nous allons régulièrement aux enchères de cadres à New York et à Londres.»
Et il faut les admirer au moins autant que les tableaux ! À eux seuls, les cadres forment une collection renversante d’art baroque. Imposants et massifs, extrêmement travaillés, on y trouve les armes de la famille Médicis (La Madone et l’Enfant de Mario Balassi), jusqu’aux anges musiciens sculptés dans le cadre de l’Arlequin (1740) de Giovan Domenico Ferretti, en passant par un magnifique cadre en lapis-lazuli qui sublime l’Allégorie de la poésie de Felice Ficherelli. Un écrin sans pareil pour la «magnifique obsession» de Sir Mark, qui est aussi devenue, jusqu’en janvier, celle du MNHA, avant de rentrer aux États-Unis en faisant, en 2022, un détour par Bruxelles.
Valentin Maniglia
L’exposition est l’occasion de découvrir les peintres florentins baroques, encore trop méconnus par rapport à leurs illustres homologues de la Renaissance. Autour des peintres exposés, le MNHA propose une série de conférences et d’ateliers pour accompagner et approfondir la connaissance encore rare du sujet.
Deux visites-débats seront organisées au sein de l’exposition, dont une intitulée «La raison et l’art – Un regard philosophique sur la collection Haukohl», dans laquelle seront apposés les tableaux de l’exposition aux idées des philosophes des Lumières (Kant, Voltaire, Locke…). Cette visite-débat sera donnée en français (le 12 novembre et le 21 janvier à 18 h), en luxembourgeois (le 26 novembre à 18 h) et en anglais (le 7 janvier à 18h).
Les cadres étant un élément important et remarquable de l’exposition, le musée donnera deux conférences en anglais autour des cadres : «An introduction to the history of European picture frames» (le 19 novembre à 20h) et «On the choices of framing and reframing paintings – Finding a balance between intentions and experiences» (le 18 février à 20h), toutes deux données par le restaurateur de cadres néerlandais Huub Baja.
Toujours autour des cadres, le MNHA donnera une série d’ateliers, intitulés «Le cadre du figuratif», avec l’artiste luxembourgeois Pit Molling. Ces ateliers consisteront, après une analyse des tableaux exposés dans «Beyond the Medici», à apprendre les bases du dessin figuratif ainsi que les pratiques d’encadrement d’une œuvre d’art. Les ateliers auront lieu par blocs de deux jours, les 10 et 12 décembre, les 17 et 19 décembre, les 7 et 9 janvier 2021, les 21 et 23 janvier, les 4 et 6 février et les 18 et 20 février.