Contrainte de se réinventer en raison du virus et des mesures sanitaires toujours restrictives, la Kulturfabrik réinvestit son site et se plaît à rêver d’un été culturel en plein air.
Après les gestes barrières, la Kulturfabrik, en cet été naissant, en propose d’autres : une main sur le front en guise de visière, et le regard inquiet, pointé vers un nuage menaçant. Une mimique qui, pour les plus rodés, s’accompagne même d’une remarque sur les prévisions météorologiques… Oui, comme d’autres compères d’infortune (Rotondes, Neimënster…), elle espère aussi que le ciel sera clément les deux prochains mois. Sinon, ce serait doucher sa nouvelle intention, ambitieuse : imaginer la «Fabrik de Demain».
Car pour son directeur René Penning, qui vient juste de prendre le relais de Serge Basso, le virus qui rôde n’a pas fini de tourmenter le milieu culturel : «Très tôt, on s’est dit que la situation allait durer et probablement pour longtemps encore», lâche-t-il. Pour lui et son équipe, il était donc temps de réimaginer un futur moins anxiogène. De créer à nouveau, sur place, de la vie, ne serait-ce que pour chasser le mauvais esprit.
Une philosophie qui trouve son sens (mesures sanitaires obligent !) à travers des activités d’extérieur et des rassemblements restreints, démarche que tout un pays semble défendre depuis que la culture, dans une routine que l’on connaît, s’est arrêtée à la mi-mars. La KuFa a ainsi évité de succomber à la mode du «live streaming» pour se concentrer sur des projets plus concrets.
Ceux-ci, aujourd’hui, prennent la forme d’une généreuse ouverture, aussi bien à travers son parvis que d’autres salles, jusqu’alors peu annexées. «L’important, c’est de se remettre en marche !», soutient le nouveau meneur d’une troupe «motivée», mais conscient que l’avancée se fait toujours à tâtons. «On ne peut rien planifier, même sur un mois ! Et les récents chiffres des infections au Luxembourg montrent que la lutte est loin être finie.»
Paradoxalement, son actuelle remise en question trouve ses racines dans son passé, à l’époque où la Kulturfabrik vivait chichement, sans le sou. Un temps où des briques et une planche pouvaient faire office de bureau, comme le raconte Serge Basso. Un âge où la commune d’Esch-sur-Alzette ne savait pas trop quoi penser – et faire – avec ce flibustier artistique, à l’impétueux drapeau noir, alors qu’aujourd’hui, elle lui alloue un million d’euros par an.
«La Kulturfabrik a toujours su se réinventer au fil des crises»
Pour «reprogrammer des artistes», il a donc fallu abandonner les réflexes (scène, éclairage, son) pour aller au plus simple. Toujours René Penning : «On dit aux artistes : « Écoutez, vous avez le sol comme tribune. C’est ça les conditions dans lesquelles il faut jouer ».» De l’improvisation qui s’observe également dans le mobilier disparate qui garnit le Kufa Summer Bar, «le plus hype du pays», selon certains, même si on imagine que cette année, la concurrence va être rude.
En activité depuis le 27 mai, cette grande terrasse à l’ambiance tranquille se verra envahir, à un rythme régulier, de concerts, DJ sets, performances et d’un marché de créateurs, histoire que la KuFa redevienne «un lieu de vie et de création, ouvert à tout le monde». Dans la même idée, la Squatfabrik (encore un retour aux sources) donnera «carte blanche» à plus d’une quinzaine d’artistes qui, toutes les deux-trois semaines, se relayeront dans les anciens locaux de la Keramikfabrik, vacants depuis décembre 2019.
Et qu’importe le résultat : «Les échecs seront aussi exposés!», clame René Penning. Punk un jour, punk toujours !
Et en attendant, un jour, de pouvoir retrouver le confort de la grande salle – «on est en train de réfléchir à un nouveau concept à l’intérieur, assez exceptionnel», confie-t-il, car pour une rentrée classique, «c’est d’ores et déjà foutu» –, la KuFa en profite pour rénover ses espaces : ainsi, l’artiste Lynn Cosyn réalisera une fresque murale… dans les toilettes, tandis que Jo Malano s’occupera de la brasserie K116.
Résidences d’artistes (Sandy Flinto & Pierrick Grobéty, Man’ok & Cie), projets d’illustrations (Val L’Enclume et Julie Wagener) et de création («Kappkino») complètent cette ardeur embryonnaire qui, à défaut d’être exigeante et toujours de qualité, mise sur la bienveillance et le partage. Près de 50 000 euros (la moitié investie dans la Squatfabrik) sont ainsi mis sur la table pour sauver ce qu’il y a à sauver. Comme le rappelle Pim Knaff, échevin à la Culture d’Esch-sur-Alzette, «la Kulturfabrik a toujours su se réinventer au fil des crises» qui ont ponctué son histoire. Celle-ci est majeure. Demain n’est pas un autre jour. C’est dès maintenant qu’il se construit.
Grégory Cimatti
Rendez-vous lundi pour la Squatfabrik #2 !
À noter que la Squatfabrik #2 débutera dès ce lundi avec les artistes Trixi Weis, Letizia Romanini et Alexandra Lichtenberger.