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La difficile explication de la laïcité à la française hors des frontières


Emmanuel Macron a rappelé les ambassadeurs de France à Canberra et à Washington dans un geste sans précédent (Photo d'illustration : AFP).

Emmanuel Macron a récemment déclenché une controverse dans le monde musulman en défendant, après une série d’attaque jihadistes, la laïcité à la française, suscitant aussi des critiques de certains médias anglophones, illustration de la difficulté d’expliquer ce modèle français.

Parallèlement à ses tentatives d’explication en direction du monde musulman, via une longue interview à al Jazeera fin octobre, le président français doit également composer avec une partie du monde anglo-saxon, très critique sur la laïcité française.

« La France alimente-t-elle le terrorisme musulman en essayant de l’empêcher ? », s’est ainsi interrogé le New York Times tandis qu’un autre journal américain, le Washington Post, lui conseillait de lutter contre le racisme plutôt que d’essayer de « réformer l’islam », provoquant de vives polémiques sur les réseaux sociaux.

Emmanuel Macron s’est d’ailleurs plaint dans le New York Times dimanche soir pour dénoncer la perte des « fondamentaux » de la presse anglophone dont une partie « légitime » les violences jihadistes.

Le Financial Times a également publié une tribune critique contre les positions françaises, qui a ensuite été retirée en raison d' »erreurs factuelles » selon le quotidien. A contrario, l’hebdomadaire The Economist a lui pris la défense de la position française.

Pour les analystes, cet épisode illustre le contraste entre l’approche française sur l’intégration des immigrants et celle de pays anglo-saxons, qui agrège les communautés dans une volonté multiculturaliste.

Les pays anglo-saxons ne sont pas pour autant épargnés par les attentats jihadistes, même si la France est particulièrement visée depuis la republication des caricatures de Mahomet en septembre, lors de l’ouverture du procès des attentats de 2015, dont celui de Charlie Hebdo.

« Assimilationniste »

« Le modèle français se veut assimilationniste même si en pratique il ne le fait pas toujours bien », explique François Heisbourg, de la Fondation pour la recherche stratégique, basée à Paris. « Il y a Une France, pas un groupe de musulmans, de Sikhs etc. On n’est pas au Canada… ».

Le Canada, où Justin Trudeau a pris le contre-pied de son allié français en estimant que la liberté d’expression n’était « pas sans limites » et ne devait pas « blesser de façon arbitraire et inutile » certaines communautés, déclenchant une vive polémique au Canada et nécessitant ensuite un appel entre les deux hommes pour essayer d’afficher leur entente.

En France, l’adhésion à la nécessité pour les immigrants d’embrasser les valeurs nationales semble plus forte que jamais depuis la décapitation en octobre d’un enseignant, Samuel Paty, qui avait montré à ses élèves des caricatures du prophète Mahomet lors d’une leçon sur la liberté d’expression.

Rendant hommage au professeur assassiné, le président Macron a défendu la laïcité de la France et sa longue tradition de satire, assurant : « Nous n’abandonnerons pas les caricatures ».

Cette position a été saluée par The Economist : « Les héritiers de Voltaire – La France- a raison de défendre la liberté d’expression ».

Mais le président français a dû monter au créneau plusieurs fois pour défendre ses positions, notamment après son discours début octobre sur un islam « en crise » et contre le « séparatisme islamiste » en France.

Le Financial Times, quotidien britannique plutôt favorable au président français, a cette fois publié un article d’un spécialiste français de l’islam, Olivier Roy, intitulé « La bataille française contre le ‘séparatisme’ islamiste est en contradiction avec l’engagement pour la liberté ».

Dans une lettre au FT le président Macron, niant avoir stigmatisé les musulmans, a défendu sa position : « La France – nous sommes attaqués pour cela – est aussi laïque pour les musulmans que pour les chrétiens, les juifs, les bouddhistes et tous les croyants. »

Identité

L’idée selon laquelle les nouveaux arrivants devraient se fondre harmonieusement dans la société française remonte à l’époque coloniale lorsque l’adoption des coutumes françaises, y compris la tenue vestimentaire à l’occidentale, figurait parmi les critères d’octroi de la citoyenneté.

L’ancien président de droite Nicolas Sarkozy (2007-2012) était un fervent partisan de l’assimilation. Ce descendant d’immigrés professait en 2017 que « dès que l’on devient français, nos ancêtres sont gaulois ».

La laïcité est enracinée en France de longue date. La Révolution française (1789) voulut ainsi rompre entre ordre politique et ordre divin ; l’anticléricalisme fut vivace au XIXe siècle et le point d’orgue vint en 1905 avec la loi qui aboutit à la séparation de l’Église et de l’État.

Les partisans de la laïcité invoquent souvent cette loi pour récuser les symboles religieux dans la sphère publique, comme en 2004 lorsque fut interdit le port du foulard musulman et autres symboles religieux dans les écoles publiques. Elle a également été brandie pour défendre le droit au blasphème.

Mais certains musulmans et analystes partisans du modèle anglo-saxon, estiment que cette laïcité est un prétexte pour les attaquer.

« Sous l’apparence d’un débat sur les valeurs, en fait c’est un débat sur l’identité », déclare Christophe Bertossi, directeur du Centre des migrations et de la citoyenneté de l’Institut français des relations internationales.

AFP