Maltraitée par son père pendant des années, Alexandra Glebova ne connaît que trop bien le fléau des violences domestiques, qui viennent d’être partiellement dépénalisées par les députés russes.
«Il me frappait toujours sur la tête. Parfois, il me frappait si fort que je volais à travers la pièce comme une balle de ping-pong», témoigne la jeune femme de 26 ans. Une nouvelle loi, récemment adoptée par le Parlement mais qui doit encore être signée par le président Vladimir Poutine, allège les peines pour les violences commises au sein du cercle familial, commuant les deux ans de prison jusque-là encourus en simple amende, sauf en cas de violences graves ou récidive.
Les députés conservateurs à l’origine du texte l’ont présenté comme destiné à corriger une «anomalie» dans la loi russe: le fait que les auteurs de violences domestiques étaient poursuivis au pénal, tandis que les violences commises en dehors du cercle familial relevaient, elles, du droit civil. Mais ce changement a provoqué une levée de bouclier parmi les associations de défense des droits de l’Homme et d’aide aux victimes, et provoqué un débat à l’échelle nationale en Russie. «Avec cette loi, ils vont détruire des vies», résume Alexandra Glebova.
Installée à Moscou avec son compagnon, la jeune femme dit encore souffrir de dépression et faire des cauchemars sur son «tyran» de père, avec qui elle a coupé tout contact mais jamais dénoncé à la police. En Russie, une femme sur cinq a déjà subi des violences physiques de la part d’un partenaire, selon un rapport officiel datant de 2011. L’organisation de défense des droits de l’Homme ANNA estime que 7 500 femmes sont mortes sous les coups de leur compagnon en 2015.
Les partisans de la nouvelle loi, comme la sénatrice Elena Mizoulina, mettent en avant pour leur part les «très bonnes» alternatives à la prison que propose la loi, tels les travaux d’intérêts général, qui «ne portent pas atteinte au budget de la famille» contrairement à la prison. Valentina Matvienko, la présidente du Conseil de la Fédération, la chambre haute du Parlement, assure de son côté que de simples amendes «sont suffisantes s’il s’agit de la première fois et s’il s’agit de disputes familiales légères».
« Impunité »
Alors qu’elles restent souvent silencieuses, l’adoption de cette loi a poussé des femmes victimes de violences à s’exprimer, à l’image d’Anna Veduta, une proche de l’opposant Alexeï Navalny, qui habite à Washington. Lorsqu’elle avait 18 ans et vivait à Moscou, son petit ami «ne la frappait pas au visage afin de ne pas laisser des marques», témoigne-t-elle dans un message sur Facebook. «Vous avez des bleus sur le corps, mais les gens ne les voient pas, surtout en hiver», écrit-elle.
Repris par un site d’informations et un célèbre blogueur, son message a suscité «beaucoup de commentaires qui disent +c’est de ta faute+», regrette-t-elle. «Je voudrais que les gens acceptent ce concept assez simple: la victime n’est jamais coupable». Pour la jeune fille, le nouveau texte voté par les députés ôte une «solution de dernier recours» aux victimes de violences domestiques, qui oseront encore moins faire appel à la police et à la justice. Les partisans du texte affirment en retour qu’une dépénalisation partielle donnera une chance aux auteurs de se réformer, malgré le scepticisme des militants en faveur des droits de l’Homme.
« Un pas en arrière »
«C’est un pas en arrière car les femmes et les enfants se retrouvent sans protection. C’est une sorte d’impunité pour les auteurs», affirme Irina Matvienko de l’association ANNA, qui vient en aide aux femmes victimes de violences. «Les violences domestiques vont se multiplier et devenir plus sérieuses», prédit-elle. Un avis partagé par la directrice d’une association régionale souhaitant rester anonyme, pour qui «le nombre de morts et de femmes blessées va augmenter».
Selon elle, dans le meilleur des cas, la victime quitte le domicile familial avec les enfants, mais l’auteur des coups ne s’arrête «jamais» au premier abus. Les violences domestiques touchent surtout les femmes, mais également les personnes âgées et les adolescents, souligne-t-elle, estimant à 30 000 le nombre de familles à risque dans chaque région où elle travaille. En Russie dans son ensemble, le risque de violences affecte, selon elle, un demi million de femmes. «Je pense que c’est l’estimation la plus modeste.»
Le Quotidien/AFP