C’est le branle-bas de combat dans l’industrie mondiale de la télévision : studios hollywoodiens et grandes chaînes publiques et privées d’Europe mettent les bouchées doubles pour se lancer dans l’aventure du streaming et tenter de contrer le géant américain Netflix.
Aux États-Unis, pendant qu’Apple fourbit ses armes avec Apple Video+, la Warner et Disney s’apprêtent à lancer leurs plateformes de vidéo par abonnement (SVoD). De l’autre côté de l’Atlantique, les grandes manœuvres sont également engagées, souvent via des unions sacrées entre service public et chaînes privées : la BBC et ITV vont lancer leur plateforme commune BritBox, tandis que France Télévisions, TF1 et M6 veulent créer Salto.
Des mouvements scrutés par les professionnels de la télévision réunis au MIPTV, grand-messe du secteur qui se déroule jusqu’à jeudi à Cannes. « Il y a un emballement et une accélération, car plusieurs phénomènes sont en train de converger », explique Philippe Bailly, dirigeant du cabinet NPA Conseil. D’un côté, « les acteurs traditionnels comme les bouquets payants et les grandes chaînes historiques sont en train de se convertir aux services à la demande, et en parallèle, les studios comme Warner et Disney, qui vendaient jusqu’ici des droits de diffusion aux plateformes, veulent s’asseoir à la table en montant leurs propres services », résume-t-il.
Pour Aled Evans, expert du secteur au cabinet IHS Markit, la conversion au streaming « est avant tout une réponse au changement profond des usages des consommateurs vers des contenus visionnés à la demande, enclenché depuis une dizaine d’années, plutôt qu’une réaction à Netflix ». Pour les acteurs traditionnels, décrypte-t-il, s’unir est une bonne stratégie car ils peuvent ainsi financer des programmes exclusifs à gros budget, clé du succès pour attirer les consommateurs.
Trop de plateformes ?
« Nous sommes trop petits, même si nous sommes les plus grands dans notre pays », a souligné la présidente de France Télévisions, Delphine Ernotte. « Je ne pense pas qu’on va se battre contre Netflix, mais je pense qu’il y a de la place pour un acteur local dans la SVoD », a-t-elle lancé, « heureuse » de travailler avec TF1 et M6. Maxime Saada, patron de Canal+, pionnier de la télévision payante, s’attend lui à un raz-de-marée d’offres de plus en plus spécialisées. Dont son groupe espère émerger en continuant d’agréger films, sport et séries. « On va se retrouver avec 50 ou 100 simili-Netflix, qui se voudront le Netflix de ceci ou de cela (…) et le consommateur se retrouvera noyé dans un océan d’offres à 5 ou 10 euros (par mois)… Mais il ne pourra pas s’abonner à 50 ou 100 services », dit-il.
Au-delà des coûts, cette multiplication des offres pourrait compliquer la vie des téléspectateurs. « Aux États-Unis, il y a plus de 300 services de streaming selon certaines estimations », relève Philippe Bailly, ce qui lassent certains consommateurs, contraints de jongler entre les plateformes. D’après lui, « les fournisseurs d’accès ont une carte à jouer ». Comme ils ont déjà lancé des bouquets de chaînes thématiques, « demain ils proposeront des bouquets d’offres de SVoD », prédit-il. Un modèle qui pourrait séduire les nouveaux entrants comme Disney+, en les aidant à pénétrer dans les foyers. Une opportunité pour les chaînes de rattraper leur retard auprès des 20-35 ans, « accros » au streaming.
LQ/AFP