Avec « De la légèreté », le philosophe et sociologue français Gilles Lipovetsky poursuit son exploration de la civilisation.
S’alléger, tel est le mot d’ordre de notre civilisation, selon Gilles Lipovetsky qui publie un livre stimulant sur le sujet. (Photos : DR)
Il fut un temps où le lourd constituait la référence. La quête ultime. Et puis aujourd’hui, renversement des valeurs… « Nous vivons une immense révolution qui, pour la première fois, porte en elle une civilisation du léger. Le culte de la minceur triomphe : les sports de glisse sont en plein essor ; le virtuel, les objets nomades, les nanomatériaux changent nos vies. La culture médiatique, l’art, le design, l’architecture expriment également le culte contemporain de la légèreté », écrit le philosophe et sociologue français Gilles Lipovetsky dans son nouvel essai simplement titré De la légèreté – sous-titre : « Vers une civilisation du léger ».
Parmi les plus intéressants penseurs de l’époque, Gilles Lipovetsky a travaillé et réfléchi précédemment sur l’éphémère, le vide ou l’hypermodernité. Et maintenant, donc, le léger. Vivre léger alors que la vie quotidienne paraît de plus en plus pesante. Oui, assure-t-il, « c’est maintenant la légèreté qui nourrit la pesanteur. Car l’idéal nouveau s’accompagne de normes exigeantes aux effets épuisants, parfois déprimants. C’est pourquoi, de tous côtés, montent des demandes d’allègement de l’existence : détox, régime, ralentissement, relaxation, zen »… Hier les utopies du désir, aujourd’hui les attentes de légèreté !
> Au temps des utopies « light »
À sa connaissance, précise l’auteur, jusqu’alors aucun livre n’a été écrit sur le sujet de la légèreté. Donc, il s’y est lancé. Et, comme pour ses précédents ouvrages, il a appliqué la même méthode, celle de la transversalité. L’époque décodée à travers les idées, les technologies, l’art, la santé… Et si on lui demande pourquoi il a consacré du temps et des recherches au sujet, il répond : « Longtemps, le sujet a été jugé sans intérêt, parce que synonyme de futilité. Si ce livre est possible aujourd’hui, c’est que le léger n’est plus seulement associé à la rêverie, au vice ou à la pacotille. Il est devenu une valeur fondamentale de notre société. Et aussi un impératif, un idéal. Nous sommes passés de la légèreté imaginaire à la légèreté-monde. »
En près de 400 pages, ainsi il décline son sujet. Avec des chapitres comme « Alléger la vie : bien-être, économie et consommation », « Un nouveau corps », « Le micro, le nano et l’immatériel », « Mode et féminité » ou encore « Liberté, égalité, légèreté ». Et, à chaque page, on comprend qu’on a vraiment changé d’époque. Qu’on est au temps des utopies « light ».
Fini et bien fini le temps de l’industrie lourde, de l’armement lourd – oui, le lourd, aujourd’hui, sonne affreusement ringard. Place aux gadgets, c’est ludique, il suffit de regarder les objets de l’électroménager, de la télévision, de l’électronique de loisirs… tous sont doublement légers : le matériau comme le plastique et l’accélération de la miniaturisation. C’est l’allégement du monde et du corps : « La liposuccion est l’intervention de chirurgie la plus largement répandue, le fitness est devenu une obsession. Tout le monde semble hanté par l’idée de perdre trois ou quatre kilos », explique le philosophe et sociologue.
Et ce n’est pas près de s’arrêter ! « D’abord, la légèreté est devenue un impératif économique et écologique, porté par la miniaturisation de l’électronique et le développement de nouveaux matériaux de synthèse. Ensuite, la révolution numérique nous emmène en deçà du léger, vers la dématérialisation, dans le cloud. Enfin, il y a le potentiel incroyable des nanotechnologiques, la maîtrise de l’infiniment petit… » Et de lancer une prévision : « Demain, c’est celui qui maîtrisera l’infinitésimal, l’infra-léger, les composants de base de la vie, qui détiendra la plus grande puissance. »
De notre correspondant à Paris Serge Bressan