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La Chute : cette BD qui évoquait une «grippe estivale»…


La bande dessinée La Chute est sortie en mars... l'auteur Jared Muralt se confie pour notre journal ! (Photo : DR).

Une «grippe estivale» combinée à une crise écologique et financière met le monde sens dessus dessous… Le point de départ d’une série imaginée par le Suisse Jared Muralt, La Chute, qui résonne terriblement avec l’actualité et la crise sanitaire provoquée par le coronavirus.

Il y a des œuvres qui, sans le vouloir, s’inscrivent avec pertinence dans l’actualité. Une pure coïncidence, dirait sûrement Jared Muralt, auteur de La Chute, premier épisode d’une saga imaginée en 2014, qui doit s’étaler sur six tomes au total. Car au moment où il a commencé à travailler sur ce projet sur la notion de chaos, de lente apocalypse au cœur d’un monde en proie à un virus inconnu, le Suisse avait quand même quelques certitudes sur l’état de nos sociétés contemporaines.
D’un côté, d’abord, une crise écologique dont les sérieuses menaces se font entendre de plus en plus fortement.

De l’autre, ensuite, les réguliers périls économiques, conséquences logiques d’un libéralisme aveugle et décomplexé. Mais il n’avait pas anticipé la vague épidémique et l’affolement sanitaire provoquée par le coronavirus, qui bouleverse et inquiète aujourd’hui le monde entier. Toute ressemblance avec des situations existantes ne saurait être que fortuite, serait-on tenter de dire…

Un accélérateur de la perte de tous les repères

La Chute – au départ proposé sous la forme d’épisodes d’une vingtaine de pages, à l’instar des comics américains – plonge, avec effroi, le lecteur dans ce monde basculant dans l’horreur, au bord de la guerre civile. Dans cet enfer, les gens meurent en effet d’une forme de «grippe estivale» bien plus sévère – et mortelle – que le Covid-19. Une épidémie qui n’est, en outre, qu’un accélérateur de la perte de tous les repères propres à nos civilisations. Pillages, individualisme à outrance et meurtres sont ainsi le lot de cette radicale déshumanisation. Jared Muralt aurait pu choisir de placer son histoire aux États-Unis, mais il est resté fidèle à ses origines et c’est à Berne que l’on découvre les trois personnages principaux : Liam et ses deux enfants, Sophia et Max. Alors que la radio égraine les mauvaises nouvelles (aussi bien locales qu’internationales) – procédé intelligent répété tout au long de l’ouvrage, qui pigmente le récit et installe une ambiance anxiogène – on retrouve ce trio, inquiet, plongé dans ce climat délétère.

Là, Liam tente de vivre une vie de famille la plus normale possible. Mais tout s’effondre soudainement lorsque le virus finit par emporter son épouse, infirmière, qui succombe au cœur d’un hôpital en proie au chaos, saturé de malades et de médecins dépassés par l’ampleur des évènements… «Dans La Chute, la société est attaquée par un virus dont la dangerosité n’est pas comprise dès le début», explique ainsi l’auteur dont les propos, certes alarmistes, sonnent désormais comme un avertissement.

En effet, ici, la situation s’envenime rapidement. Les supermarchés sont pillés et la nourriture se faire rare, les morts, jetés dans les fosses communes, se multiplient – dans les rues flotte l’odeur pestilentielle des cadavres en décomposition –, les quarantaines mènent les gens à leur perte, les militaires tirent à balles réelles sur la population qui s’entredéchire et les milices se renforcent. Rien ne semble plus pouvoir arrêter cet emballement. Reste la fuite…
Avons-le, la démarche de Jared Muralt n’a rien de nouvelle. On pense évidemment au roman post-apocalyptique de Cormac McCarthy, The Road (2006), revisité au cinéma avec Viggo Mortensen en survivaliste. Sans oublier la célèbre saga The Walking Dead qui pose les bases d’une réflexion sur l’effondrement, et comment y répondre. C’est d’ailleurs ce que recherche l’auteur ici : extrapoler de la manière la plus plausible ce qui se passerait dans une pareille situation. Pour ce faire, son dessin est, en toute logique, réaliste, détaillé, minutieux, et son sens aiguisé de la narration tient le lecteur en haleine. Preuve que l’on n’a pas besoin de recourir à des extraterrestres ou à des zombies pour maintenir un suspense insoutenable et une angoisse résiduelle. Disons que l’actualité se suffit à elle-même…

Grégory Cimatti

La Chute (épisode 1), de Jared Muralt. Futuropolis. Série prévue en six tomes.

«Nous trouverons un moyen de nous en sortir…»

Comment en êtes-vous arrivé à ce sujet ?  Une angoisse personnelle ?

Jared Muralt   : Je voulais écrire une série post-apocalyptique et j’ai décidé d’opter pour le scénario le plus probable. À cet égard, ce n’est pas mon idée mais l’avis de tous les experts qui ont choisi le scénario d’une pandémie mortelle.  Moi, je vis assez bien ici, au milieu de l’Europe.  Mais je voulais montrer que nous ne devrions pas prendre cette richesse, ce confort,  pour garantie. Cela semble assez étrange de nos jours…

Beaucoup de choses ont déjà été écrites sur le chaos dans nos sociétés. Qu’est-ce qui distingue votre livre?

La Chute  est d’abord une approche personnelle pour traiter de mes peurs, de mes questions sur l’humanité et les comportements humains. L’apocalypse m’a semblé être le genre idéal pour me familiariser avec ces questions.

Votre livre, aujourd’hui, a une résonance particulière avec l’épidémie de coronavirus. Comment voyez-vous cette coïncidence ?

Plutôt effrayante, surtout sur quand on voit les conséquences directes… Mais je suis sûr que nous trouverons un moyen de nous en sortir. Les humains peuvent être très créatifs.

Les loups solitaires n’avaient aucune chance à long terme

Croyez-vous que dans un avenir proche, l’homme doit se préparer à sa propre survie ?

Non, je n’y crois pas. Depuis les premiers jours de l’humanité, nous sommes des êtres grégaires. Nous ne survivons pas seuls. J’ai fait beaucoup de recherches sur la survie lors d’événements apocalyptiques, et dans chaque scénario, les gens ont survécu parce qu’ils faisaient partie d’un groupe. Les loups solitaires n’avaient aucune chance à long terme.

Quelle sera la suite de ce premier épisode ? Y aura-t-il de l’espoir ? 

L’espoir est toujours là. C’est ce qui nous motive lorsque nous sommes entourés de folie… Comme la série comptera plusieurs volumes et que l’histoire se déroule dans un monde post-apocalyptique, comme dans la vie réelle, les choses empireront… avant de s’améliorer (il rit).