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La «capitale de l’autruche» garde son panache


En Afrique du Sud, la région d’Oudtshoorn est surnommée «capitale mondiale de l’autruche» : c’est de là que vient la grande majorité des produits issus de l’oiseau géant, du plumeau pour la poussière aux costumes des danseuses du Moulin Rouge.

Dans la lumière dorée du soleil couchant, Saag Jonker tend le bras vers les autruches juvéniles qui approchent avec curiosité. Près de 400 oiseaux tendent leurs cous élancés à travers l’enclos, secouant leurs plumes dans un nuage de poussière ocre.

«Ce mâle a un beau plumage. Adulte, il atteindra 125 kilos», sourit l’éleveur sud-africain de 82 ans, pointant un animal au panache noir et blanc.

Sur la route de terre battue menant à sa ferme, les élevages d’autruches se succèdent. Cette vallée du Petit Karoo au paysage rugueux, entre deux chaînes montagneuses longeant la côte sud du pays, est la «capitale mondiale de l’autruche».

Du simple plumeau pour faire la poussière au prêt-à-porter de luxe, 70 % des produits issus de l’autruche viennent d’Afrique du Sud, principalement de cette zone au climat aride idéal. Dans les rues d’Oudtshoorn, chef-lieu de la municipalité du même nom, l’oiseau géant est omniprésent.

Sa viande rouge fondante figure sur tous les menus. Les vitrines exposent des sacs en cuir d’autruche, reconnaissable aux «perles» laissées par l’implantation des plumes. Un panneau accueille les visiteurs d’un : «Que les plumes soient avec vous!»

Dans son bureau où trône un large œuf couleur crème, Saag Jonker, né dans une famille modeste, raconte avoir rejoint le secteur comme «commissaire-priseur de plumes» à 22 ans.

Soixante ans plus tard, il est à la tête d’un empire : la plus grande entreprise privée d’élevage, de transformation et de commercialisation d’autruches au monde, avec près de 45 000 oiseaux abattus par saison. «Nous produisons 60 % des poussins de la région», souligne-t-il. Dans son couvoir, les piaillements de centaines d’autruchons nouveau-nés recouvrent le léger craquement des œufs en train d’éclore.

D’une main experte, un ouvrier ouvre les tiroirs à température contrôlée et retire quelques morceaux de coquille, laissant apercevoir un petit bec délicat et un œil encore somnolant.

À l’âge adulte, une autruche produit environ un kilo de plumes, qui sont ensuite stérilisées et triées. Les plus prisées – les grands panaches noirs et blancs des ailes – sont vendues dans le monde entier, du Moulin Rouge au carnaval de Rio, en passant par les maisons de haute couture.

«Une bonne exposition de nos produits» est visible sur le tapis rouge de la soirée du Met Gala, à New York, explique Peter Liebenberg, 52 ans, responsable plumes à Cape Karoo International, l’un des leaders du marché.

Dans l’usine de transformation, à Oudtshoorn, deux cents ouvriers trient, coupent, lavent et teignent les plumes dans plusieurs centaines de couleurs bariolées. Installées sous des images de défilés Balmain, Paco Rabanne ou Jean Paul Gaultier, une dizaine de couturières en uniformes roses ouvragent de délicates franges. De longs boas multicolores reposent sur les tables. L’entreprise vend chaque année une centaine de tonnes de plumes, précise Peter Liebenberg.

À l’entrée de l’usine, des photos en noir et blanc rappellent l’âge d’or d’Oudtshoorn. Au début du XXe siècle, les plumes d’autruche sont au quatrième rang des exportations sud-africaines. En Europe, la mode est alors aux chapeaux ornés de plumes somptueuses.

Des dizaines de «barons de l’autruche» font fortune. Les plumes valent alors davantage, au poids, que l’or. En 1911, ces éleveurs offrent à la reine d’Angleterre un éblouissant éventail tissé de plumes blanches, symbole de leur prospérité.

Mais trois ans plus tard, l’activité s’effondre. La Première Guerre mondiale et sa perturbation du commerce maritime international coïncident avec la popularisation de la voiture. «Impossible de monter dans une décapotable avec un chapeau orné d’une plume!», relate Peter Liebenberg.

Au fil des décennies, l’industrie se réinvente en misant notamment sur les autres produits dérivés : le cuir de luxe, la viande et même les œufs, sculptés en objets de décoration ou en abat-jours. Les plumes, elles, «reviennent toujours», précise Peter Liebenberg, se félicitant d’«excellents prix» atteints pour la vente de «produits de mode, de carnaval, de dépoussiérage».

Pendant la pandémie de Covid-19, le marché du spectacle s’est cassé la figure, mais la demande de plumeaux «a explosé», se souvient-il d’un sourire amusé : «Tous les gens confinés voulaient faire le ménage.»