L’actualité s’est invitée jeudi au lancement de la 70e Berlinale, premier festival de cinéma de l’année en Europe, qui démarre quelques heures après une double fusillade, au motif probablement xénophobe, ayant fait neuf morts en Allemagne.
« Nous sommes très peinés d’apprendre ce qui s’est passé à Hanau (près de Francfort) et nos pensées vont aux victimes et aux familles », ont fait savoir les organisateurs, qui envisagent de leur témoigner leur soutien jeudi soir sur le tapis rouge. L’actrice Sigourney Weaver doit lancer les festivités aux côtés de Margaret Qualley, vue dans Once upon a time in Hollywood. Elles viennent présenter My Salinger year du Canadien Philippe Falardeau (hors compétition), sur les ambitions littéraires d’une jeune femme travaillant chez l’agent du célèbre écrivain J.D Salinger.
Durant les onze jours du festival, quelque 340 films venus du monde entier seront projetés dont 18 en lice pour l’Ours d’or, remis le 29 février par un jury présidé par l’acteur britannique Jeremy Irons. Tentant de déminer une polémique naissante, suite à la réapparition dans la presse allemande d’une ancienne interview où il tenait des propos jugés sexistes, le Britannique, Oscar du meilleur acteur en 1991, a affiché son soutien aux mouvements pour « protéger les femmes contre toute forme de harcèlement », au droit à l’avortement et au mariage gay. « J’espère que certains des films que nous allons voir parleront de ces questions… et voir des films qui nous incitent à questionner nos attitudes, nos préjugés », a-t-il déclaré lors de la conférence de presse du jury, composé notamment des acteurs Bérénice Bejo (The Artist) et Luca Marinelli (Martin Eden) ainsi que des réalisateurs Kenneth Lonergan (Manchester by the sea) et Kleber Mendonça Filho (Bacurau).
Promouvoir la diversité et les femmes
En plus d’être un anniversaire, cette 70e édition ouvre un nouveau chapitre pour la Berlinale : après 18 ans aux manettes, l’Allemand Dieter Kosslick a cédé sa place à un duo plus jeune, composé de l’Italien Carlo Chatrian, ancien directeur du festival de Locarno, et de la Néerlandaise Mariette Rissenbeek. Pour ses débuts, cette nouvelle équipe a dû faire face à de récentes révélations sur le passé nazi d’un ancien directeur de la Berlinale, ce qui les a contraints à transformer le Prix Alfred-Bauer en Ours d’argent. Le festival a d’ailleurs confié une enquête à ce sujet à l’Institut d’histoire contemporaine de Munich. L’objectif de cette édition est de « faire de la place à la diversité », en proposant de nombreux films réalisés par des femmes, des œuvres du monde entier, avec un gros contingent venant du Brésil, des sujets politiques et une nouvelle section baptisée « encounters », proposant des films de niche entre documentaire et fiction.
Alors que le débat sur le manque de femmes et d’artistes noirs dans le cinéma bat son plein, après les Bafta britanniques et les Oscars, la Berlinale va proposer six films dirigés ou codirigés par des réalisatrices cette année. Soit, un peu moins que l’an dernier. Le festival en profitera aussi pour saluer la carrière d’Helen Mirren qui recevra un Ours d’honneur pour l’ensemble de sa carrière. Mêlant auteurs prisés des cinéphiles (Philippe Garrel, Tsai Ming-liang, Kelly Reichardt…) et découvertes, la programmation 2020 n’hésite pas à faire le grand écart, proposant aux journalistes comme aux Berlinois de découvrir There is no evil de l’Iranien Mohammad Rasoulof, interdit de sortie de territoire, aussi bien que la dernière comédie du duo Kerven-Delépine qui s’attaque aux géants du web et à nos habitudes numériques.
Soucieux de séduire le jeune public, la Berlinale va présenter en avant-première le nouveau film de l’écurie Pixar (En avant), le Pinocchio de Matteo Garrone, déjà sorti en Italie, et plusieurs séries dont The Eddy, bientôt sur Netflix, de Damien Chazelle (La La Land). Malgré une dimension glamour, le festival conserve son ADN politique : Hillary Clinton est attendue pour la projection d’une série documentaire qui lui est consacrée, le réalisateur ukrainien Oleg Sentsov, emprisonné cinq ans, doit présenter son deuxième film Numbers, inspiré de son incarcération tandis que deux films de la très controversée expérience DAU, qui proposait il y a un an aux Parisiens une immersion en URSS, seront à l’honneur (dont un en compétition).
LQ/AFP