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Kuzco, «Inca» d’école chez Disney


Il aura fallu plus de cinq ans, un changement de réalisateur et une réécriture totalement improvisée pour transformer un ambitieux projet en un délirant film à gags, devenu ultraculte.

Jadis un enfer pour le studio aux grandes oreilles, doublé d’un flop en salle et d’un échec critique, The Emperor’s New Groove est devenu le film d’animation Disney culte par excellence. À redécouvrir d’urgence cette semaine, à l’Utopia.

On peine à croire, aujourd’hui, à quel point les studios Disney étaient mal en point au tournant du XXIe siècle. Leur période de «renaissance», nouvel âge d’or de la «major» américaine, avait bien donné quelques chefs-d’œuvre absolus : Beauty and the Beast (Gary Trousdale & Kirk Wise, 1991), Aladdin (John Musker & Rob Clements, 1992), sans oublier The Lion King (Roger Allers & Rob Minkoff, 1994), véritable phénomène culturel et plus grand succès au box-office mondial l’année de sa sortie, qui sera même resté pendant près de vingt ans le plus gros succès du cinéma d’animation.

Et alors que les aventures du jeune lionceau Simba émerveillent le monde entier, chez Disney, on entre dans une période plus sombre : l’animation en images de synthèse gagne du terrain à toute vitesse et, malgré un rapprochement notable avec Pixar pour Toy Story (John Lasseter, 1995), le studio fait figure de dernier bastion de l’animation traditionnelle, en passe d’être dépassé.

L’un des architectes du second âge d’or de Disney, Jeffrey Katzenberg, a quitté la «major» juste après la sortie de The Lion King pour cofonder DreamWorks. Disney avait perdu l’un de ses piliers, qui n’a pas tardé à débaucher quelques-uns des meilleurs artistes du studio.

On dit que c’est des périodes difficiles que naissent les œuvres les plus mémorables. The Emperor’s New Groove, devenu un objet de culte pour toute une génération, illustre à merveille la formule.

D’abord intitulé Kingdom of the Sun et réalisé par le coréalisateur de The Lion King Roger Allers, le film devait raconter l’histoire d’un empereur inca cherchant à échapper à son quotidien en échangeant sa place contre celle de son parfait sosie, un paysan, avant de devoir faire face à une sorcière dont le plan maléfique est de capturer le soleil pour plonger le monde dans l’obscurité.

Les spectateurs, en 2000, découvriront le récit délirant de l’empereur Kuzco, égoïste, arrogant et cynique, qui souhaite raser un village de paysans pour y faire construire sa résidence d’été, avant d’être empoisonné et transformé en lama par sa perfide conseillère.

«Ça avait l’air si prometteur au début, s’est souvenu le producteur Randy Fullmer, interrogé par le site Vulture. Il y avait beaucoup d’éléments et tous étaient amusants et bons.» Mais l’histoire souffrait peut-être de trop d’éléments, au point qu’elle était devenue impossible à résumer.

La seule personne à croire encore entièrement au projet est Sting : l’ex-chanteur de The Police, engagé pour composer la bande originale du film, avait composé huit chansons, dont un thème pour l’antagoniste du film, que tous à Disney tenaient pour l’un des meilleurs titres de sa carrière. Mais à force de modifications et d’écrémages, Kingdom of the Sun ne ressemblait plus au long métrage épique et somptueux qu’il devait être à l’origine.

On avait sans doute la salle d’écriture la plus drôle possible

En 1998, après plus de trois ans de travail et après une énième projection du «work in progress» qui ne satisfait pas les dirigeants du studio, ceux-ci prennent une décision inattendue : diviser l’équipe en deux et tout reprendre de zéro. «Ils ont donné à Mark Dindal (NDLR : à l’origine engagé sur le storyboard) une petite équipe, une autre petite équipe à moi, et nous devions pondre deux versions différentes de l’histoire. C’était abominable d’être en compétition l’un contre l’autre», racontait Roger Allers.

Alors que Roger Allers continuait d’aller dans la direction d’une grande fresque à la Lion King, Mark Dindal et son collaborateur Chris Williams ont cherché un nouveau ton, complètement ouvert à la comédie, qui a tapé dans l’œil des pontes de chez Disney. Roger Allers décide de quitter le projet, et la nouvelle équipe –réduite – n’a plus qu’un an pour écrire et réaliser le film, la date de sortie n’ayant pu être modifiée.

Au vu des semi-échecs qu’ont été la plupart les films Disney sortis pendant le développement de Kingdom of the Sun, et par manque de temps, la direction donne carte blanche à l’équipe. «On écrivait en temps réel», a dit le scénariste David Reynolds. Pour le producteur exécutif Don Hahn, «on avait sans doute la salle d’écriture la plus drôle possible. Une table de gens qui n’ont rien à perdre.»

À l’écriture, puis à la réalisation – le doublage des voix et l’animation définitivev–, le film est donc largement improvisé, avec des personnages modifiés et d’autres ajoutés (comme Kronk, l’homme de main un peu benêt de la méchante, Yzma), et prend désormais le titre The Emperor’s New Groove.

Mais personne, pas même Mark Dindal, ne sait à quoi va ressembler le film terminé avant de le voir sur grand écran. Finalement, The Emperor’s New Groove ressemble moins à n’importe quel film Disney qu’à un dessin animé des Looney Tunes ou de Tex Avery : une succession frénétique de gags absurdes et tout bonnement hilarants, en avance sur son temps. C’est ce qui en a fait un objet ultraculte.

À l’évidence, le film de Mark Dindal a été un précurseur des Shrek et des Ice Age, qui cartonneront dans les années à venir. Disney s’en souviendra comme d’une aventure qu’il aurait aimé ne jamais connaître et ne connaîtra sans doute plus jamais. Parallèlement au développement du film, Trudie Styler – l’épouse de Sting – devait en réaliser un making-of promotionnel. Son documentaire, The Sweatbox (2002), est devenu le récit d’un projet impossible, gardé jalousement dans les cartons de Disney depuis vingt ans…

The Emperor’s New Groove,
de Mark Dindal.