Le Luxembourg a son «Arts Council» : Kultur:LX vise au développement des artistes du Grand-Duché, dans la plupart des domaines artistiques, et à leur exportation. Une tâche herculéenne qu’ont acceptée les deux coordinatrices, Diane Tobes et Valérie Quilez.
C’est dans les bureaux de Music:LX, à Esch-sur-Alzette, que Diane Tobes et Valérie Quilez ont établi leurs quartiers. Leur bureau – commun – est encore un peu vide, ce qui pourrait encore passer pour une décoration minimaliste, tant le travail qu’abattent depuis le 1er février l’ex-responsable projets et partenariats du Lux Film Fest et l’ancienne responsable de la Mission culturelle du Luxembourg en France est en réalité colossal. Le prix à payer pour la création d’un «Arts Council», ou conseil des arts, qui se veut aussi complet que possible. Ses missions sont nombreuses : viser à la diffusion et au rayonnement de la culture luxembourgeoise ici et à l’étranger, développer la carrière des artistes, rendre l’aide au secteur culturel plus transparente… Un véritable «monstre» à deux têtes, qui a déjà intégré Music:LX et Reading Luxembourg, et qui poursuivra dans le temps l’intégration d’autres missions.
Diane Tobes et Valérie Quilez, vous êtes respectivement coordinatrice nationale et coordinatrice internationale de Kultur:LX. La somme de travail est-elle si grande qu’elle ne pouvait être abattue par une seule personne ?
D. T.: Nous avons des expériences professionnelles complémentaires. Il va de soi que les volets national et international marchent ensemble, et il faut rendre conscience de ce qui se passe ici pour ensuite aller vers l’international et présenter ce qui se passe au Luxembourg. À cela s’ajoutent les volets de l’administration et de la communication, pour lesquels on se partage les tâches pour avancer au mieux.
V. Q. : Le conseil d’administration s’est rendu compte lui-même de ce qu’il exigeait de cette direction pour démarrer la structure, autrement dit un travail infaisable pour une seule personne. Je pense aussi qu’il y a un aspect plus intéressant à ça, celui de ne pas donner à Kultur:LX une figure, mais bien d’être aussi dans ce format collaboratif, qui permet d’échanger des points de vue, de valider des positions, bref, d’être déjà dans le domaine du partage, de la réflexion ensemble et de la transversalité.
Nous sommes une structure au service du secteur et des gens qui le composent, et il est évident que sans eux, on ne fait rien
Le travail est énorme car il ne représente pas seulement la musique, mais tous les secteurs de la culture…
V. Q.: Il faut aller voir les différents secteurs, les différents représentants des secteurs, les institutions, les ministères pour avoir un premier retour par rapport aux attentes. Il y a une grande phase de discussions : notre volonté est que Kultur:LX soit en échange permanent avec les scènes culturelles et les institutions pour évaluer, valider, proposer, regarder… C’est ce qui doit être la base du fonctionnement de cette nouvelle structure.
D. T. : On est bien conscientes des responsabilités, mais aussi des opportunités qu’une nouvelle structure apporte à tout un secteur. Nous sommes arrivées dans l’idée d’avoir ce retour, de savoir quels sont les besoins réels des acteurs directement concernés. Si on n’a pas leur « feedback », on ne pourra rien apporter. Eux ont le droit de rêver, et nous, on peut voir avec eux ce qui est vraiment réalisable. Nous sommes une structure au service du secteur et des gens qui le composent, et il est évident que sans eux, on ne fait rien.
V. Q. : Les assises culturelles de 2016 ont démarré cet énorme dialogue au sein des secteurs, et entre les secteurs et avec les ministères. Il faut s’inscrire dans cette continuité. Kultur:LX arrive aussi à un moment très particulier, et je crois qu’un certain nombre d’automatismes qu’on a pu avoir en termes de financement, de soutien ou de mobilité internationale sont impactés par une situation internationale et des enjeux différents. Ce n’est pas juste une réflexion luxembourgeoise, c’est une réflexion européenne, internationale : d’un côté et de l’autre de la frontière, les dispositifs et les manières de réagir à la pandémie ne sont pas les mêmes. À l’heure actuelle, il est difficile d’utiliser des recettes préconçues, il faut donc essayer de voir ce qui fonctionne ou pas, mais aussi de trouver des axes qui soient compatibles avec les bouleversements de la pandémie, car ce ne sont pas les derniers. Il faut réfléchir sur notre capacité à être agile dans des contextes de plus en plus incertains.
Kultur:LX est présentée comme une structure qui veut regrouper tous les arts, mais certains domaines, comme le cinéma avec le Film Fund, ou les musées, subviennent à leurs propres besoins. Quel rôle jouez-vous pour eux ?
D. T.: Sous le toit de Kultur:LX, on regroupe dans un premier temps six disciplines : la musique, la littérature, le spectacle vivant, les arts audiovisuels, les arts multimédias et numériques et l’architecture, qui comprend aussi le design, les arts appliqués et les métiers d’art. Le film n’est pas inclus car le Film Fund gère la promotion des œuvres, même s’il reste un partenaire important. Le cinéma sera intégré dans un domaine particulier, comme les créations digitales et les réalités virtuelles. Pour les artistes qui ne sont pas forcément des réalisateurs de cinéma, le Film Fund est une entrée très intéressante en termes de structuration des budgets ou dans la capacité à mettre en route des projets plus larges. C’est là qu’on sera en discussion avec lui.
V. Q. : Les musées, eux, ont leur programme et leur façon d’agir. Après, ils peuvent être et seront intéressés à un échange, dans le cadre d’une exposition internationale par exemple, d’une biennale, d’une mise à l’honneur d’un artiste luxembourgeois, comme ce sera le cas du Mudam à l’automne, ou d’une thématique luxembourgeoise. La relation avec les institutions culturelles, quelles qu’elles soient, réside avant tout dans le dialogue, les synergies et dans les questionnements pratiques qui peuvent se poser. Le Luxembourg a enfin son « Arts Council », ce qui veut dire qu’on a aussi un autre réseautage, qu’on va avoir accès à d’autres données et informations. Une telle structure ne couvre jamais tout mais, au moins, elle permet de faciliter les accès pour avoir une première identification pluridisciplinaire sur la même plateforme. On tient à la réaliser du mieux que possible pour qu’on puisse en un coup d’œil avoir un aperçu, puis travailler ensuite en détail selon les besoins de l’interlocuteur.
C’est donc le premier volet de votre travail…
V. Q. : C’est le premier volet visible, en tout cas… Et il y a du travail ! Mais Kultur:LX ne s’arrête pas à la visibilité pour les artistes. On vise aussi à voir leur capacité à travailler dans des conditions durables et tenables pour une société. La pandémie a montré que la précarité et le rapport aux institutions et aux financements ne sont pas si simples que ça. Si on parle de développement durable de manière générale, il faut aussi parler de développement durable en termes d’emploi, autrement dit : est-il socialement acceptable d’avoir un secteur qui est dans une précarité totale ? Cette réflexion relève aussi du domaine politique, bien sûr, mais c’est une réflexion que, très précisément, fait le secteur – la Theater Federatioun, A:LL Schrëftsteller*innen… – avec des groupes de travail. Ces discussions qui partent de la base font grandir tout le monde, avec des revendications justes et légitimes, à nous ensuite de retranscrire cela dans les actions. Il faut être le plus respectueux possible de leur métier et de ce qu’on engage avec eux.
La professionnalisation du secteur au Luxembourg reste encore largement à améliorer. Comment Kultur:LX peut être un accélérateur des dispositifs et des moyens pour un artiste de créer dans les meilleures conditions ?
V. Q. : D’un côté, il y a des dispositifs déjà existants au niveau de la recherche, des répétitions… Il faut voir comment on s’intègre là-dedans. De l’autre, il y a ce que mettent en œuvre les institutions dédiées à cela. Notre rôle n’est pas de se substituer à elles.
D. T. : C’est l’un des sujets à voir en consultation avec le secteur : quelles sont les pistes à poursuivre ? Il est important de toucher les jeunes talents, de les découvrir à la base – dans les conservatoires comme dans les lycées – et de les diriger vers cette voie. Avec son réseau, Kultur:LX peut intervenir sur ce point.
Kultur:LX ne s’arrête pas à la visibilité pour les artistes. On vise aussi à voir leur capacité à travailler dans des conditions durables et tenables pour une société.
V. Q. : L’artiste, par essence, est professionnel, dès la sortie du conservatoire de danse ou après des études de musique, comme pour n’importe quel autre métier. Or, on demande à l’artiste de viser l’excellence dans son domaine, mais on lui demande aussi d’être excellent dans la comptabilité, la communication, le remplissage de dossiers, la diffusion… Il faut reconnaître les différents métiers nécessaires pour entourer l’artiste. L’artiste n’est pas un être éthéré qui n’est pas conscient des contingences, mais s’il veut pouvoir se concentrer sur son futur projet, il a besoin d’entourage pour décupler sa force de travail. La professionnalisation est là. Il y a des métiers qui manquent au Luxembourg, très clairement : des managers, des chargés de diffusion, des agents littéraires… C’est aussi parce que notre industrie n’est pas énorme. Alors, comment pallier ce manque ? En constituant un cadre de travail pour que les artistes puissent créer sans se retrouver dans l’impasse où ils doivent absolument tout faire, et de manière excellente.
Dans quelle mesure Kultur:LX est concernée par la question de l’éducation à la culture ?
D. T. : On espère que dans un futur un peu plus proche, on saura donner de nouvelles impulsions et développer cela. L’éducation à la culture doit commencer dès le plus jeune âge, jusqu’au moment où les jeunes décident de leur orientation professionnelle.
V. Q.: Il y a quand même des programmes qui existent entre les ministères de la Culture et de l’Éducation, et il nous faudra voir avec eux ce que l’on peut apporter, des outils de réflexion par exemple, et comment s’en servir. Nous ne sommes pas programmateurs, il faut que chacun reste à sa place. Mais on peut être attentifs. Si l’on parle d’industrie créative, il y a d’autres acteurs – le ministère de l’Économie, le ministère des Finances, Luxinnovation – avec qui réfléchir pour décloisonner les choses. Il y a un énorme dialogue à avoir si on veut inciter à la création pluridisciplinaire. Nous, on est prêt à tout, mais il y a quand même des enjeux à faciliter la tâche des artistes sur des sujets très précis. On a beaucoup à échanger avec les différents ministères et je crois que la place de l’artiste dans la société sera d’autant mieux comprise que différents ministères comprennent réellement certains des enjeux.
Entretiens avec Valentin Maniglia