La plateforme gratuite KUK, lancée mardi dernier sous l’égide de Serge Tonnar et du collectif MASKéNADA, revoit les exigences d’une culture 100 % luxembourgeoise.
Serge Tonnar, autour de qui s’est formé le collectif d’artistes MASKéNADA, n’est pas de ceux pour qui le confinement a été une longue période de repos. Dès la fermeture des théâtres, des cinémas et des salles de concert, le musicien a tiré la sonnette d’alarme et a déclaré un état d’urgence pour le monde culturel. Son discours se poursuit aujourd’hui avec KUK, une plateforme exclusivement luxembourgeoise, fruit d’un long travail et d’une réactivité à toute épreuve qui ont suivi le début de cette crise soudaine.
KUK, «c’est l’héritier du « Live aus der Stuff »», première et principale initiative pour continuer à faire vivre la culture au Grand-Duché durant le confinement avec, chaque jour, un artiste du pays qui se produisait en direct sur Facebook, le but étant de représenter toutes les disciplines du spectacle vivant, de la musique au théâtre en passant par la danse ou la lecture. «Je n’aurais jamais pensé faire quelque chose comme ça, avoue Serge Tonnar. Mais aujourd’hui, tout le monde doit s’adapter et faire des choses que l’on ne pensait pas possibles avant. Les artistes sont habitués à réagir à des situations difficiles et il faut faire appel à leur créativité pour trouver des solutions.»
Cependant, KUK n’est pas seulement une solution, c’est, en quelque sorte, un premier pas dans le nouveau monde. Serge Tonnar a d’ailleurs bien conscience des possibilités qu’offre une telle plateforme pour l’avenir des artistes. «Tous les artistes, moi inclus, préfèrent être devant un public. L’expérience est complètement différente. Ce n’est pas comparable, car l’idée n’est pas de remplacer le spectacle vivant, mais d’intéresser le public et, par la suite, de l’inviter à suivre les artistes dans la vie réelle. La crise nous a montré qu’il y a des possibilités dans le numérique qu’on n’a pas encore assez exploitées sur des modèles interdisciplinaires. Les musiciens font ça plus souvent, depuis les années 1980 et l’arrivée des clips, puis avec YouTube. Tout ça n’a pas remplacé le spectacle, au contraire : ceux qui ont le plus de succès en ligne sont aussi ceux qui ont le plus de succès dans la vie réelle. Il faut mieux profiter de ces possibilités, la crise nous a ouvert les yeux là-dessus.»
Triptyphon, podcast libre
Gratuite et sans inscription, la plateforme KUK (pour KulturKanal) veut poursuivre le travail amorcé avec le «Live aus der Stuff», dont les vidéos ont comptabilisé près de 500 000 vues pour plus de 10 000 abonnés. Comprendre : offrir à tous un panorama du monde culturel luxembourgeois d’aujourd’hui à travers des créations originales. Ce qui a fait tilt chez Serge Tonnar, c’est lorsqu’il s’est rendu compte du succès du «Live aus der Stuff».
«Le public découvrait des artistes pour lesquels il ne se serait jamais déplacé. Mais j’ai pris conscience aussi que les artistes ne sont pas habitués à se produire eux-mêmes, et quand ils n’ont pas d’engagement auprès d’organisateurs ou d’institutions culturelles, ils sont un peu perdus. L’une des idées avec le KUK, c’est de leur offrir une plateforme qui les aide à s’émanciper.» Et quoi de mieux pour arriver à cette fin que d’associer les artistes à d’autres artistes? C’est le concept du podcast Triptyphon, créé par l’actrice Larisa Faber et qui résulte de sa «motivation de (s)’adresser à un autre sens que la vue», trop sollicitée à son goût pendant le confinement.
Chaque semaine, un nouvel épisode (mis en ligne le lundi à 13 h 30 sur KUK puis diffusé le jeudi à 13 h 30 sur Radio 100,7) associe un(e) auteur(e), un acteur ou actrice et un(e) musicien(ne) dans un programme réalisé comme une création en trois étapes ou un cadavre exquis : le texte est donné au récitant qui en fait sa propre interprétation, puis l’enregistrement est enfin habillé d’une nappe sonore ou d’une véritable composition, enfin le programme est diffusé.
La créatrice du podcast, qui a démarché les artistes, les connaît bien et «les admire beaucoup», raconte : «Je leur ai proposé cette collaboration inédite, car chaque artiste est libre et chaque podcast a comme fil rouge le texte de l’auteur, qui a carte blanche par rapport au thème, au style, à la forme.» «Le premier podcast (NDLR : un texte de Nathalie Ronvaux, lu par Aude-Laurence Biver et mis en musique par Catherine Kontz, disponible à l’écoute depuis lundi) était un poème, mais j’ai lu les autres textes qui sont très différents et tout aussi chouettes.»
À l’image des programmes qui sont et seront proposés sur KUK, Triptyphon met en valeur le plurilinguisme du Luxembourg, en créant par la même occasion «un lien entre artistes luxembourgeois ou résidents luxembourgeois et étrangers, comme l’Autrichienne Nancy Mensah-Offei, qui lira le deuxième texte, l’actrice roumaine Judith State ou les auteurs Caroline Gillet et Hugo Combe, belge et français».
Et pour réunir autant de talents qui, par ailleurs, ne se connaissent pas forcément entre eux, Triptyphon est réalisé «dans les conditions du confinement», même si «on venait de sortir du confinement quand la production a été lancée». L’occasion de «garder un lien avec les collègues, chacun dans leurs pays respectifs» et, pourquoi pas, de nouer de nouvelles amitiés artistiques.
«Interdisciplinaire et intergénérationnel»
La collaboration et le passage, pour un artiste, de son domaine de prédilection à un autre se veulent les mots d’ordre de la création estampillée KUK. Pour Serge Tonnar, la plateforme souhaite les pousser à «profiter des expériences des uns et des autres, connaître les problèmes et les solutions des différentes disciplines. On apprend des choses aussi avec les différents parcours des artistes, des expériences des plus anciens aux compétences des plus jeunes». Un travail «interdisciplinaire et intergénérationnel» comme ressource à la fois pour la plateforme et la richesse progressive de son contenu comme pour les artistes eux-mêmes. «On a encore peu de contenu, mais au fur et à mesure, on aura une véritable bibliothèque de projets interdisciplinaires», dit Serge Tonnar.
Créée par les artistes, KUK est une plateforme forcément indépendante. Un grand écart, après une longue période de confinement qui a vu fleurir le «Live aus der Stuff» sur Facebook? Oui et non, explique Serge Tonnar : «On veut se libérer des grandes plateformes internationales, mais on continuera quand même d’utiliser les réseaux sociaux, car c’est grâce à eux que les gens découvrent ces choses. En tout cas, on n’est plus dépendants d’eux.» En revanche, le site a déjà de nombreux partenaires culturels sur qui il pourra s’appuyer pour une autre mission, celle de la diffusion de contenu non original. Cette dimension de la plateforme, si elle sera moins importante, ne relève pas moins d’une idée bien précise de diffusion de la culture : «On veut revaloriser des productions, par exemple des documents audiovisuels qu’on trouverait au CNA (NDLR : l’un des partenaires). C’est un travail que l’on souhaite faire sur le patrimoine audiovisuel du pays.»
KUK est tout un travail qu’il n’est certes pas simple de mettre en place, mais d’un bout à l’autre de la chaîne, tout le monde y trouve son compte, de l’artiste, rémunéré et détenteur des droits de son programme, au public qui peut accéder au contenu gratuitement («la gratuité est synonyme d’accès à la culture», rappelle Serge Tonnar). Alors on ne perd pas de temps et on découvre le meilleur et l’inédit de la culture au Grand-Duché en cliquant sur KUK.
Valentin Maniglia
Les prochains rendez-vous
6 juillet Triptyphon (épisode 2). Texte : Nora Wagener (en allemand).
Voix : Nancy Mensah-Offei. Musique : C’est Karma.
9 juillet «Live Session». Avec Lambert Schlechter (textes), Kendra J.
Horsburgh (danse) et Mudaze (musique). En direct de la Villa Louvigny.
13 juillet Triptyphon (épisode 3). Texte : Caroline Gillet et Hugo Combe
(en français). Voix : Fábio Godinho. Musique : Stayfou.
16 juillet Cérémonie de remise des prix du concours «Dance From Home!». Les votes du public pour les vidéos de danse sont ouverts
jusqu’au 14 juillet à minuit.
20 juillet Triptyphon (épisode 4). Texte : Larisa Faber (en anglais).
Voix : Judith State. Musique : Edsun.
Tous les programmes restent bien entendu disponibles après leur première diffusion. Le public peut d’ores et déjà (re)voir ou (ré)écouter l’épisode 1 de Triptyphon, le concert inédit de Serge Tonnar et Georges Urwald, Aus der Heemecht, joué à la Villa Louvigny pour le lancement de KUK, ou encore D’Maus Kätti, une lecture de la fameuse fable d’Auguste Liesch par la Grande-Duchesse Maria Teresa, accompagnée par la violoncelliste Annemie Osborne.