Dimanche, comme le week-end dernier, les «Urban Talk» mettaient en contact citoyens et créateurs pour une meilleure vision des interventions artistiques prévues en 2020. À bord d’un gros bus jaune. On embarque !
Il passe difficilement inaperçu, imposant et d’un jaune pétant, surtout un dimanche matin dans le quartier résidentiel de Lallange, endormi en ce premier week-end de vacances. Le Cool Bus est la nouvelle arme de médiation – et de sensibilisation – du projet «Kufa’s Urban Art Esch» qui, depuis 2014, met des couleurs à une ville décidée à lâcher son image, grise et tristounette de cité industrielle, pour se dessiner un futur plus radieux sous la bombe d’artistes inspirés.
L’idée de ce que l’on appelle les «Urban Talk» est simple : convoquer les citoyens et badauds de passage autour d’un café, d’un thé, d’une pâtisserie orientale, pour les mettre justement en contact avec les créateurs du cru, qui dévoilent là les esquisses de leurs travaux à venir, encore à l’état de bourgeon. D’ailleurs, pour attirer les curieux dans ses filets, l’équipe de la Kulturfabrik, porteuse de l’ambitieux dessein, accompagnée de Sensity, entreprise aux élans communautaires et participatifs, ne lésinent pas sur les moyens, et ce, en quatre langues (français, luxembourgeois, italien, portugais) : affiches, flyers, invitations déposées dans les boîtes à lettres, panneaux explicatifs placés sur les prochains lieux d’intervention…
Tendre l’oreille aux questions des habitants
Sur place, des médiateurs, tels des rabatteurs, interpellent même les âmes errantes promenant mollement leur chien ou concentrées à leur jogging matinal, mais aussi les jeunes traînant près de la Schoul aérodrome. C’est que la foule se fait rare, comme en témoigne Maëlle Lepetit, de la KuFa : «On aurait espéré avoir un peu plus de monde, mais en leur offrant un café, les gens sont plus attentifs (elle rit).»
Depuis la semaine dernière, à différents endroits de la ville (rue du Canal, rue de l’Alzette, gare…), les six invitations à embarquer à bord du bus jaune (à ne pas confondre avec le sous-marin) ont attiré plus de 200 personnes, faune bigarrée venue tailler le bout de gras avec un collectif de onze artistes, les mêmes qui donneront corps, dès avril, à leurs projets artistiques respectifs. Dimanche, c’était donc au tour de Joël Rollinger et de David Stoner de tendre l’oreille aux questions des habitants, leurs interrogations sur l’avenir de leur quartier en particulier, et de leur ville en général.
Ainsi, le premier, remplaçant de Carla Marques qui vient d’avoir un bébé, proposera avec l’heureuse maman une installation en bois recyclé, au cœur de l’école. Un coin détente dans lequel les «enfants pourront y faire des plantations». Le second, lui, graffeur à la longue expérience, se lancera dans un «challenge» : «Peindre tout le sol du terrain de basket» dans des couleurs proches de la nature, et «y introduire des choses ludiques, genre une marelle».
«Des œuvres qui servent à quelque chose !»
Bien que reconnaissant savoir, plus ou moins, «dans quelle direction on va aller» – comme certaines ébauches le confirment –, le duo apprécie ces moments conviviaux, dans lesquels le public est pris en considération. «Que les avis soient positifs ou négatifs, ça compte!», explique Joël Rollinger, pour qui la ville d’Esch-sur-Alzette est «idéale» pour l’art urbain. «Il y a d’imposants sites industriels, des murs gigantesques… Grâce à ce projet, c’est devenu un grand open air !», martèle-t-il, enthousiaste.
Mieux, comme le dit David Stoner, «on n’est pas dans un souci de simple contemplation. On parle de lieux de vie !» Oui, et c’est une nouveauté, le «Kufa’s Urban Art» cherche désormais une approche plus «fonctionnelle». Fred Entringer, son coordinateur : «On veut des œuvres qui servent à quelque chose !» Ainsi, d’ici le début de l’été, la commune aura le droit, par exemple, «à une installation lumineuse dans un tunnel mal éclairé», à la rénovation entière d’une place (celle des Argentins), et même à des orientations écologiques du côté de la gare. «On va pouvoir bientôt y récolter des tomates !»
De l’esthétisme pertinent et profitable, pourrait-on dire, qui ravit Jesse, venue avec ses deux fils, Jay et Collyn. «Mon grand garçon s’intéresse au graffiti, et mon plus petit est à la Schoul aérodrome, précise-t-elle. Je trouve cela super que la ville se développe, que des artistes lui donnent un autre visage. Et les couleurs, c’est la vie, non ?» D’autres lui emboîteront le pas, comme une institutrice, un couple habitant le quartier… Ou ce jeune basketteur qui trouve en David Stoner un interlocuteur de choix en tant que grand fan de la balle orange. «On fera quelques paniers après», plaisante-t-il. Alors que l’équipe est en train de ranger le matériel, on trouve toutefois une place et une boisson pour ce dernier visiteur de la matinée. Quand on sait que le «Kufa’s Urban Art Esch» a encore plein d’idées à accoucher (site internet, carte interactive, édition d’un grand livre…), oui, la discussion est loin d’être finie.
Grégory Cimatti