Kid Colling, guitare en bandoulière, débarque en fin de semaine à l’Atelier avec son Cartel et un premier album longtemps attendu, « In the Devil’s Court ». Avec lui, le blues est une affaire sérieuse. Rencontre.
Orphelin né à Bogota, en Colombie, et adopté par une famille luxembourgeoise, Kid «Stéphane» Colling a eu très tôt la fibre du blues, celle, sûrement, d’autres déracinés. «Jeune, j’écoutais du rap, mais j’avais une fascination pour le rock’n’roll et les big bands», explique-t-il. Des morceaux qui, entendus au hasard d’un passage à la télévision ou à la radio, le marquent en profondeur, comme celui de Benny Goodman Sing Sing Sing. «La rythmique me parlait», confie-t-il.
Normal qu’adolescent il traîne à Clervaux au Keller, café qui «passait ce genre de musique». «J’avais 16 ans, mais je connaissais le patron!», lâche-t-il dans un rire, lui qui reconnaît être tombé sous le charme du «premier solo blues sur un slow». Il sera alors guitariste, ira à Paris – à l’American School of Modern Music et à l’IMEP – pour se former, avant de créer le «Cartel» en 2012. Il défend alors l’ «écriture» blues, nourrie de jazz et de pop. Entretien avec un esthète du genre.
Vous avez mis cinq ans à sortir votre premier album. Pourquoi un tel temps de gestation ?
Kid Colling : C’est, en réalité, moins long, car il y a eu un EP, Tomorrow’s Far Away, en 2014. Avant cela, avec des musiciens d’ici, on jouait surtout des reprises de standards. Ça a duré deux ans. Mais du fait des distances géographiques, et d’ambitions diverses, je suis parti sur quelque chose de différent, avec un autre groupe et des envies de composition. Comme j’aime prendre mon temps, oui, ça peut paraître assez long (il rit).
Parallèlement, vous avez beaucoup arpenté les scènes, au Luxembourg, mais aussi en France, en Belgique et en Allemagne. Est-ce quelque chose qui vous motive plus que le travail en studio ?
Si je fais de la musique, c’est pour la scène. J’adore ça! Un album, à mes yeux, c’est uniquement une carte de visite pour le live. C’est mon moteur. D’ailleurs, ceux qui ont vu nos concerts peuvent en témoigner : sur scène, on est du genre à tout donner, à s’éclater. Bref, on vit !
Votre album se nomme « In the Devil’s Court ». Pourquoi, dans le blues, il est toujours question du diable ?
(Il rigole) Mais le diable est un personnage mythique de ce style de musique. Rappelez-vous Robert Johnson et cette légende américaine comme quoi il lui aurait vendu son âme… In the Devil’s Court, c’est un cri de rébellion, qui incite à sortir de cette « cour du diable », symbole d’une société en déliquescence, avec son lot de sentiments et de sensations : le bien, le mal, la peur, l’espoir, le regret… Chacun d’entre nous s’y est trouvé un jour. C’est le moment où l’on se dit : « Il faut que ça change ! »
Vous parlez d’expériences personnelles. De quel ordre sont-elles ?
Disons que je suis du genre à me laisser aller, à ne rien regretter en espérant que toutes les expériences par lesquelles je passe m’enrichissent. Jeune, je n’étais pas le plus sage et il m’arrive, encore aujourd’hui, de me retrouver dans des situations bizarres. Du coup, j’ai des choses à raconter… et à partager ! Le blues, d’ailleurs, évoque ces histoires d’errance, d’excès, de perdition. Oui, la musique aide à se libérer de nos démons.
Vous défendez un blues rock moderne. Qu’est-ce que cela signifie ?
Ça n’a rien de nouveau, mais c’est un son qui ne se satisfait pas de la simple esthétique du blues traditionnel – qui se résume en trois phrases – en y intégrant d’autres éléments, comme le jazz, la pop. C’est un jonglage entre les styles. À mes yeux, on peut faire la différence avec une simple composition, à condition de bien la manier, et de ne pas tomber dans la facilité. Question de dosage… Et les structures trop classiques m’empêchent de me libérer, et de dire tout ce que j’ai à dire, à ma façon !
Le blues est toujours bien représenté au Luxembourg. Comment l’expliquez-vous ?
C’est vrai, il y a plein de groupes de blues au Grand-Duché. La raison ? Je pense que c’est une musique accessible qui, même si elle mute et change d’aspect, sera toujours jouée. Oui, le blues est éternel ! Et sans trop de maîtrise, on peut l’attaquer seul, à la guitare. C’est d’ailleurs comme ça que j’ai commencé ! Après, pour ouvrir de nouvelles perspectives, il faut bosser à fond et enrichir sa palette.
Comment pouvez-vous définir ce premier album ?
C’est difficile. En tout cas, on a fait du très beau boulot. À mes yeux, il n’y a pas deux albums comme ça au Luxembourg, du fait des arrangements, des orientations stylistiques… C’est le fruit d’un travail d’équipe, professionnel, avec moi comme chef d’orchestre. Des fois, j’avais l’impression d’être un général qui doit garder ses troupes motivées (il rit). Dans ce sens, j’ai toujours préféré me sacrifier pour que les gens qui m’entourent soient en forme, disponibles. Il m’en faut peu pour être heureux !
Où avez-vous enregistré ?
À Bordeaux, en France. Niveau cadre, c’était sympathique, même si je suis arrivé là-bas sans voix, et en ayant oublié mon pédalier en Lituanie. La galère… Sur place, je me suis arrangé avec un ami pour qu’il me dépanne d’un point de vue matériel. Pour gérer mon problème de gorge, après les médicaments et les tisanes, sans effet, j’ai découvert le rhum, alors que je suis plutôt whisky. Un excellent conseil de l’ingénieur son. En effet, ça décrasse ! Entre deux prises, hop, un petit verre. À la fin de l’enregistrement, j’étais rincé.
Êtes-vous soulagé de sortir ce premier disque samedi ?
Oui, surtout que j’ai donné tout ce que je pouvais. C’est un chouette chapitre qui s’achève, et un autre qui commence. C’est comme avoir un premier enfant : cet album, on ne me l’enlèvera pas !
Vous allez représenter le Luxembourg, en avril prochain, à l’European Blues Challenge au Danemark. Vous y allez avec quelles intentions ?
Mettre le feu à la scène et dire : « Eh ouais, on vient du Luxembourg ! » Il y avait un calcul là-dessous, avec ce premier album tout frais que l’on pourra présenter aux professionnels sur place. On croit en notre musique et on ne va pas laisser les gens indifférents. En tout cas, je l’espère.
Outre mettre le feu à la scène, qu’attendez-vous de la release de samedi ? À l’Atelier, de surcroît…
(Il rigole) On voulait sortir ce disque dans une vraie salle de concert, et pas dans un café. Non pas que je n’aime pas jouer dans les bars ou les endroits intimistes, mais sans aucune prétention, le groupe a fait du chemin et se devait de se montrer dans un lieu qui symbolise sa croissance, son évolution. Le contraire n’aurait pas été juste au vu des efforts consentis.
Entretien avec Grégory Cimatti