On peut devenir un champion sportif sans quitter son fauteuil ! Secteur en plein essor, la pratique compétitive du jeu vidéo se prépare un avenir doré et attise les convoitises. Cinquante millions de fans de plus en trois ans et des revenus qui doublent, voire triplent, à l’horizon 2017. Spectateurs, sponsors, médias : tout le monde se met à l’e-sport.
Le cabinet d’audit Deloitte évalue à 500 millions de dollars (près de 450 millions d’euros) les revenus globaux de l’e-sport en 2016, contre 400 millions en 2015. Les spécialistes Newzoo et Repucom prévoient, eux, une hausse de de 89 millions à 145 millions de fans de 2014 à 2017.
L’e-sport passerait ainsi d’une audience mondiale comparable à celle de la natation ou du hockey sur glace à celle du football américain, notent les auteurs de l’étude. Et même de la Formule 1 (400 millions de personnes) d’ici à 2020, selon une troisième enquête, réalisée par Juniper Research.
« Dans les cinq prochaines années, regarder ses joueurs favoris disputer une partie de son jeu vidéo préféré est quelque chose que les gens feront comme regarder le Super Bowl ou les finales NBA », prédit l’Américain Michael Morhaime, patron d’un des principaux éditeurs de jeux vidéo engagés dans l’e-sport, Blizzard Entertainment. Il a participé début mars à New York à la conférence Leaders, consacrée au sport business.
Starcraft II , le jeu de stratégie en temps réel de Blizzard, est, avec League of Legends , Dota 2 , Counter-Strike ou Hearthstone , l’un des titres phares des compétitions d’e-sport, qui n’ont plus grand-chose d’un loisir de niche. La finale du championnat du monde 2015 de League of Legends a ainsi attiré 17 000 spectateurs à la Mercedes-Benz Arena à Berlin et plus de 30 millions de personnes dans le monde, essentiellement sur internet.
Les sponsors ne s’y trompent pas. Ce ne sont plus seulement les fabricants de matériel informatique et de consoles de jeu qui financent l’e-sport, mais des géants comme Coca-Cola, Red Bull, Nike ou New Balance.
« À l’heure actuelle, il ne s’agit pas d’acheter de l’e-sport mais plutôt une audience, les générations Y et Z », les 13-35 ans, qui constituent l’essentiel des fans, a expliqué à la conférence Leaders Craig Levine, PDG de Turtle Entertainment America, organisateur de compétitions via l’Electronic Sports League (ESL).
Les grands médias sautent sur l’occasion
L’écosystème médiatique de l’e-sport connaît aussi sa révolution. Les sites spécialisés développés par et pour les «gamers» dans les années 2000 ont changé d’échelle, à l’instar de la plateforme de streaming de jeux vidéo Twitch, rachetée par le géant du web Amazon pour 970 millions de dollars à l’été 2014.
L’e-sport devient digne d’intérêt pour les grands médias. Certains journaux sportifs, comme l’Espagnol Marca ou l’Allemand Kicker, en ont fait une rubrique sur leur site internet. La BBC a diffusé en direct, en octobre 2015, les quarts de finale des Mondiaux de League of Legends , organisés à Wembley.
Le magazine de l’emblématique chaîne américaine ESPN y a consacré un numéro en juin 2015, et ESPN 2 diffuse la compétition de Blizzard Entertainment «Heroes of the Dorm», qui met aux prises des équipes universitaires sur le jeu Heroes of the Storm , avec 500 000 dollars de gains à la clé.
« Nous voulons faire dans l’e-sport ce que nous avons fait dans les sports traditionnels , a précisé Chad Millman, rédacteur en chef du magazine et du site ESPN, à New York. Nous allons les couvrir de la même façon, en racontant des histoires, en y amenant la même crédibilité journalistique. »
Le Quotidien
Un grand défi
À mesure qu’il se développe et attire le grand public, les investisseurs et les médias, l’e-sport doit s’organiser et se professionnaliser.
Pour Craig Levine, c’est «un de ses grands défis aujourd’hui : se désencombrer et créer des références claires. Vous savez quand la saison de NFL commence, quand les play-offs commencent, quelle est la date du Superbowl. Mais l’e-sport est tellement vaste, comprend tellement de jeux et de communautés, qu’il y a encore une certaine fragmentation, comme au début des sports traditionnels.»
En effet, les compétitions ne sont pas gérées par un réseau pyramidal de fédérations, mais par une multitude d’acteurs (associations, organismes privés et éditeurs de jeux vidéo) et l eur calendrier ne cesse d’évoluer.
Le sport traditionnel s’y intéresse
Autre écueil : le statut des joueurs professionnels, ou «pro-gamers», flou ou inexistant dans nombre de pays. Parmi les quelques modèles actuels, la Corée du Sud s’est dotée au début des années 2000 d’une fédération et les États-Unis accordent depuis peu des visas de sportifs aux joueurs étrangers participant aux compétitions américaines.
Dans la ruée vers l’e-sport, un autre prétendant pointe le bout de son nez : le sport traditionnel.
La Fédération internationale d’athlétisme (IAAF) a conclu en 2015 un accord de partenariat avec l’International e-Sports Federation, basée en Corée du Sud. Et le club de foot allemand de Wolfsburg recrute des as de FIFA 16 pour porter son maillot pendant les tournois de ce jeu vidéo.