Avec son folk sans âge et sa voix singulière, Jessica Pratt surgissait de nulle part en 2012. Après trois ans d’absence, la musicienne passe sans encombre, voire avec brio, le cap difficile du second album.
Jessica Pratt, 27 ans, est un petit bout de femme à la mélancolie à fleur de peau. Avec une guitare pour seule compagne, elle distille des morceaux poignants, enracinés dans les «sixities» mais résolument modernes. Avec On Your Own Love Again, la jeune Californienne signe un album empli d’élégance folk.
Son captivant premier disque est la première signature de Birth Records, label fondé par Tim Presley (White Fence) : « Je n’avais jamais voulu monter de label, dit-il, mais il y a quelque chose dans sa voix que je ne pouvais pas laisser passer. » De là à dire que Jessica Pratt est un phénomène, il n’y a pas des kilomètres… Depuis 2012, en tout cas, elle concocte un folk cabossé, habité, parfois étrange, entre voix légère, mélodies délicates et élans fantomatiques. Appréciant le retrait et la vie de recluse, c’est chez elle, avec un simple enregistreur 4 pistes, qu’elle a mis sur pied, en solo, On Your Own Love Again. Entretien avant son passage, jeudi, du côté du CarréRotondes.
Votre premier album, sorti en 2012, a connu un beau succès, tant auprès des critiques que du public. Dans ce contexte, appréhendiez-vous ce retour dans la lumière, avec un nouveau disque sous le bras ?
Jessica Pratt : Non, pas vraiment. Trois ans, c’est plutôt long… Sans oublier que certains morceaux issus de l’album Jessica Pratt datent de 2007, quand j’avais 19 ans. Oui, ce sont de vieux trucs ! Et j’avais, à l’époque, un côté plus instinctif et un peu plus « bricolage » : j’y ai mis tout ce dont j’avais envie, comme ça, sans trop avoir le temps de le faire… correctement. Alors, dans ce sens, on peut dire que ce nouvel album est un peu le premier.
Justement, aviez-vous des envies particulières pour ce disque ?
Avec On Your Own Love Again, j’ai voulu gérer entièrement la production, contrairement au précédent sur lequel je n’avais, au final, plus de contrôle. Alors, oui, si envie particulière il y avait, c’était de réussir à le gérer entièrement, de A à Z.
Vous avez travaillé sur cet album seule chez vous, après, il est vrai, un déménagement à Los Angeles. Cet isolement vous convient-il ?
Clairement ! Mais attention, ce n’est pas parce que je n’aime pas les gens (rire). Chez moi, en tout cas, ça marche mieux dans ces conditions, sans distraction. Disons que j’aime être seule, livrée à moi-même, car composer des chansons nécessite un réel investissement émotionnel. Je suis quelqu’un de rigoureux et je n’aime pas être dérangée par des personnes qui pourraient m’influencer, voire me juger. Et disposer d’une liberté mentale vous permet d’expérimenter certaines choses que vous ne feriez pas autrement.
On Your Own Love Again est sorti il y a de ça deux mois. Quel regard portez-vous aujourd’hui dessus ?
J’aime le résultat, comme d’autres, apparemment, vu les messages de félicitations que j’ai pu recevoir. Enregistrer en studio, sous une contrainte temporelle – comme ce fut le cas avec mon premier album – ne m’a pas plu. Je me suis sentie vulnérable. Là, j’ai eu du temps, et j’ai tout maîtrisé, ce qui me convient mieux. Pour On Your Own Love Again, j’ai voulu quelque chose de plus dense, de plus fourni. C’est sa profondeur qui me plaît le plus.
Pourtant, pris dans son aspect le plus primaire, il est très épuré. Selon vous, la simplicité est-elle préférable à la complexité ?
Totalement. C’est la manière dont il a été enregistré, d’où son côté très folk, selon moi. Il y a peut-être plus de guitare et de voix dessus que sur le précédent, mais ça reste assez basique.
Vous y greffez toute de même quelques bizarreries et autres singularités mélodiques, ce qui fait que certaines personnes vous classent dans la catégorie « freak-folk »(*). Qu’en pensez-vous ?
C’est triste que les gens aient besoin de tout ranger dans des cases, d’avoir des définitions sur tout. C’est dans la nature, mais je ne le prends pas personnellement! C’est comme quand on me compare à Joan Baez. Je n’aime pas ça !
Votre voix a quelque chose de très singulier. Qu’entendez-vous comme remarque à son propos ?
J’en entends un paquet, et même un peu plus avec ce dernier disque (rire). D’une manière générale, les remarques insistent sur son originalité. Après, il y a des gens qu’elle irrite, c’est sûr!
Êtes-vous à l’aise sur scène? Est-ce un exercice qui vous plaît ?
Oui, ça me plaît, en tout cas plus qu’avant, simplement parce que je suis plus confiante. Le fait d’enchaîner les dates est un bon entraînement. C’est excitant de jouer devant un public de nouvelles chansons, comme d’en créer d’autres, quand on est sur la route.
Quels sont vos projets futurs ?
Si je peux continuer comme aujourd’hui, c’est-à-dire avoir la liberté de créer et jouer de la musique comme bon me semble, personnellement, ça me va !
Entretien avec Grégory Cimatti
(*) Mouvement qui s’appuie sur les racines de la musique folk, tout en y insérant des éléments avant-gardistes, baroques ou encore psychédéliques.
CarréRotondes – Luxembourg. Jeudi à partir de 21 h. Support : Daniel Bachman