«Ciné-fan» absolu, le couturier est le commissaire d’une formidable exposition à la Cinémathèque française, à Paris. Avec «CinéMode», il montre combien la mode a nourri le cinéma, et inversement…
Longtemps, il fut surnommé «l’enfant terrible de la mode», et s’en amusait. Il s’en amuse toujours. À bientôt 70 ans (en avril prochain), et après avoir présenté en 2019 le Jean Paul Gaultier Fashion Freak Show aux Folies Bergère, à Paris, ou encore son dernier défilé haute couture en janvier 2020, Jean-Paul Gaultier explique vouloir s’offrir de nouvelles aventures. Par exemple, être juré de l’émission télé Danse avec les stars sur TF1… ou accepter d’être le commissaire de «CinéMode», une formidable exposition installée à la Cinémathèque française, et dont on peut à loisir poursuivre le plaisir avec le non moins formidable catalogue CinéMode par Jean Paul Gaultier lui-même.
Dans un long et passionnant entretien qui court tout au long du catalogue de l’expo, le (plus que) créateur de mode, couturier parmi les plus créatifs, confie : «Les metteurs en scène ont depuis longtemps flirté avec la mode. De nos jours où l’image est reine, on voit des associations, des rapprochements et même des « mariages »… En ces temps de Covid, de grands groupes de mode font appel à des « pointures » pour réaliser des films et des vidéos pour leurs défilés : il n’est plus question de vêtements, mais d’univers (…) L’union fait la force : « CinéMode » !»
La «galaxie pop» de Gaultier
Souvent, et encore récemment, «JPG», celui qui a imposé la marinière et en a fait un vêtement un vêtement culte, ou encore qui a fait porter la jupe à des hommes, aime rappeler qu’il est aussi un fan de cinéma. Que c’est la lecture des magazines féminins de sa mère et de sa grand-mère qui l’ont amené à l’univers de la mode, mais aussi et peut-être surtout un film : Falbalas, réalisé en 1945 par Jacques Becker. «C’est tout simplement le film qui m’a donné envie de faire de la mode, se souvient Gaultier. Je l’ai découvert à l’âge de 13 ans sur le téléviseur de ma grand-mère. On y voyait un couturier au travail qui faisait des essayages, mais surtout, un défilé, comme un spectacle. Cette scène mélodramatique, avec ces mannequins qui marchent de façon irréelle, cette musique et les invités qui applaudissent, m’a profondément marquée.»
En ouverture du catalogue CinéMode par Jean Paul Gaultier, Costa-Gavras et Frédéric Bonnaud, respectivement président et directeur général de la Cinémathèque française, expliquent : «Nous en rêvions depuis de longues années : exposer la fabuleuse collection de costumes de la Cinémathèque, mais en l’offrant au regard et au goût d’un créateur d’aujourd’hui, afin que celui-ci l’ordonne, opère une sélection et la rehausse de ses propres obsessions.» Et les deux, d’ajouter : «Homme de spectacle, Jean-Paul Gaultier conçoit chacun de ses défilés comme un show (ou un court métrage expérimental !). Il est aussi cinéphile averti et naturellement attiré par les films cultes devenus des astres fétichisés de la galaxie pop.» Donc, que le spectacle commence, dans ces murs parisiens dédiés au septième art !
Cinq films et un défilé
Une exposition pour un flamboyant défilé, pour montrer comment le cinéma a nourri la mode, et inversement (et c’est réussi!). Cinq sections, cinq films qui ont marqué «JPG». On commence évidemment par Falbalas, on enchaîne avec la satire pop et psychédélique Qui êtes-vous, Polly Maggoo ? (William Klein, 1966). «Un de mes films fétiches, précise Jean-Paul Gaultier, car il montre la mode avec un angle tout à fait à part et un œil assez sarcastique et ironique. Moi, je n’ai peut-être pas de sarcasme, car la mode, je l’aime quand même comme elle est, mais je vois très bien le côté ironique qu’il peut y avoir dans la mode : cette espèce de décalage et, quelquefois, de snobisme. Tout cela m’a toujours en même temps amusé, mais j’ai essayé de passer outre ce snobisme.»
Des films et aussi des thématiques récurrentes chez le couturier : la libération de la femme, l’égalité des sexes ou encore la féminisation des silhouettes masculines. Ce peut être psychédélique, ce peut être sensuel, c’est aussi énergie, humeur, voire humour… ce que proposent Falbalas et Qui êtes-vous, Polly Maggoo ?, mais aussi Satyricon (Federico Fellini, 1969), Querelle (Rainer Werner Fassbinder, 1982) – dont le vêtement fétiche est, à juste titre, la marinière, arborée par le beau marin créé par Jean Genet et le cinéaste allemand – ou encore Le Cinquième Élément (Luc Besson, 1997). Avec Jean-Paul Gaultier, le cinéma, tout comme la mode, ce sont des transgressions, du métal hurlant et aussi, bien évidemment, des défilés.
Le défilé, c’est précisément la cinquième et ultime section de l’exposition. La quintessence du spectacle, la célébration ultime. C’est là qu’avec «CinéMode», «JPG» montre tout : les essayages en «backstage», la presse, le public des premiers rangs, c’est une plongée dans Funny Face (Stanley Donen, 1957), Absolument fabuleux (Gabriel Aghion, 2001) ou encore The Devil Wears Prada (David Frankel, 2006). «J’ai fait de la mode parce qu’il y a cette notion de spectacle, dit encore Jean Paul Gaultier, créateur éternel du corset (i)conique. Le défilé est quelque chose d’irréel, d’abstrait. C’est comme un film. Il y a les projecteurs sur les mannequins, les mannequins qui défilent et il y a un public.» Et que ne dure le spectacle, c’est «CinéMode» !
De notre correspondant à Paris, Serge Bressan
Jusqu’au 16 janvier 2022. Cinémathèque française – Paris.