Après «vingt ans de liberté» à la tête du Rond-Point, haut lieu parisien de l’impertinence, le dramaturge Jean-Michel Ribes tourne la page, espérant continuer à voir fleurir le «rire de résistance» sur la scène de ce qui a été sa «plus belle histoire».
J’aurais bien continué, mais on m’a demandé de passer la main» : à 76 ans, Jean-Michel Ribes laisse en cette fin d’année les commandes du Théâtre du Rond-Point à Paris, dont il a fait en deux décennies un haut lieu de l’impertinence. Nommé en 2001, cet auteur dramatique, metteur en scène et cinéaste, connu notamment du grand public pour les séries humoristiques Merci Bernard! (1982-1984) et Palace (1988/1989), s’était engagé à transformer le Théâtre du Rond-Point en un lieu de création dédié aux auteurs contemporains et en particulier au «rire de résistance».
Vingt ans après, ce théâtre situé en bas de l’avenue des Champs-Élysées, proposant quelque 700 représentations sur trois scènes chaque année devant près de 170 000 spectateurs, est devenu un lieu culturel foisonnant, avec librairie et restaurant. «C’est la plus belle histoire de ma vie! J’ai vécu vingt ans de liberté au Rond-Point», confie Jean-Michel Ribes, «libertaire depuis toujours». «La chance a été que nos envies ont rencontré le désir du public.»
«Le rire de résistance est une arme pour lutter contre tous les intégrismes», estime Jean-Michel Ribes, qui a programmé des auteurs souvent caustiques, de Roland Topor à Christophe Alévêque, en passant par Roland Dubillard ou encore Patrick Timsit. «J’ai été honoré d’être la cible de tous les intégrismes, dont les catholiques traditionalistes», lance-t-il.
Contestation civique
En 2015, Jean-Michel Ribes a gagné un procès pour «provocation à la haine» intenté par l’Alliance générale pour le respect de l’identité chrétienne qui lui reprochait d’avoir programmé une pièce du dramaturge hispano-argentin Rodrigo García, présentant la Cène comme le dernier repas de l’humanité.
«Je suis contre la tyrannie des morales définitives. Le rire de la résistance est un rire qui nous désenclave», relève encore Jean-Michel Ribes, qui a reçu en 2002 le Molière du meilleur spectacle comique pour Théâtre sans animaux, série de saynètes «contre l’enfermement morose de la mesure».
Jean-Michel Ribes a fait aussi du Théâtre du Rond-Point un lieu de contestation civique, en organisant de nombreuses tables rondes. En 2013, il avait invité le monde de la culture à se mobiliser «contre la haine» après des insultes racistes contre la ministre française de la Justice de l’époque, Christiane Taubira.
La même année, une grande soirée pour défendre le «mariage pour tous» était organisée avec l’entrepreneur Pierre Bergé, compagnon du couturier Yves Saint Laurent. «En vingt ans au Rond-Point, aucun des ministres de la Culture, ni des maires de Paris, ne m’a fait de reproches. Si ça avait été le cas, j’aurais rendu les clés dans la seconde», relève encore Jean-Michel Ribes.
«Maintenir l’ADN du Rond-Point»
«Notre plus grande fierté est d’être parvenus à offrir au public ce qu’il ne savait pas encore qu’il aimait», résumait le directeur du théâtre il y a quelques jours, lors de son discours d’adieu : «Le rire de résistance au poing et la laïcité au cœur.»
«J’ai confiance en mes deux successeurs pour maintenir l’ADN du Rond-Point», confie Jean-Michel Ribes, remplacé par un duo formé par Laurence de Magalhaes et Stéphane Ricordel, qui dirigeaient ensemble depuis 2009 le Théâtre Monfort, dans le 15e arrondissement de Paris, un lieu dédié à la création contemporaine et aux compagnies émergentes. Jean-Michel Ribes, lui, ne compte pas pour autant prendre sa retraite : «Je me remets sur le marché des auteurs!»