Paris rend un double hommage au célèbre peintre américain Jean-Michel Basquiat, mort en 1988 à 27 ans. Une première exposition affiche son travail avec le maître du pop art, Andy Warhol, et une autre présente la BO de sa vie, entre toiles et musique. On y court !
Tout sens dessus dessous est actuellement le monde des arts à Paris. Deux expositions font l’événement. La première en bordure du Bois de Boulogne, à la Fondation Louis Vuitton : c’est «Basquiat x Warhol à quatre mains». À l’opposé, à l’est, près du périphérique, la seconde prend ses quartiers à la Philharmonie : c’est «Basquiat Soundtracks». Oui, la star du printemps, c’est bien Jean-Michel Basquiat, Américain d’origine haïtienne, né en décembre 1960 à Brooklyn, et l’un des créateurs les plus «hip-hop» de la planète. Il fut également une des figures essentielles de la scène artistique et «people» de New York.
À peine sorti de l’adolescence, il étincelle de mille feux aussi bien en musique qu’en peinture. Vite, il bouscule l’ordre établi – avec la complicité et l’amitié, entre autres, d’Andy Warhol. Fréquentant (trop assidument) les paradis artificiels, il mourra en août 1988. Overdose. Il rejoindra le tristement célèbre «Forever 27 Club», où l’on trouve Brian Jones (Rolling Stones), Jimi Hendrix, Janis Joplin, Kurt Cobain ou Amy Winehouse. Trente-cinq ans après sa mort, Jean-Michel Basquiat est un des artistes les plus chers du monde, avec un tableau vendu, en 2017, à 110,5 millions de dollars.
La fulgurance inégalée de Warhol et Basquiat
Souvent, un ami commun, le peintre et dessinateur américain Keith Haring (1958-90), confiait : «C’était une conversation arrivée par la peinture, à la place des mots. C’était deux esprits fusionnant pour en créer un troisième, séparé et unique». Et d’ajouter : «Ils pratiquaient, mangeaient et riaient ensemble !» Le premier, Andy Warhol, était blanc, catholique et un des maîtres de la pop culture et accueillait dans sa Factory des artistes de tous bords. Le second, Jean-Michel Basquiat, était noir d’origine haïtienne, débordant de vitalité, musicien et peintre.
En 1982, l’un des galeristes parmi les plus réputés de la «Grosse Pomme», Bruno Bischofberger, organise un déjeuner entre les deux artistes. À l’issue de celui-ci, le maître à la chevelure peroxydée fait un polaroïd du jeune homme, lequel demande alors au galeriste de le prendre à son tour en photo avec Warhol. À peine l’image sortie de l’appareil, Basquiat file avec le cliché, direction son atelier. À peine deux heures plus tard, l’assistant apporte une toile encore humide, Dos Cabezas. Y sont représentés Warhol et Basquiat. Warhol, bluffé, dira : «Il est bien plus rapide que moi !»
Dès lors, va naître entre les deux hommes une amitié indéfectible. Qui va les conduire, sur les conseils et l’insistance de Bruno Bischofberger, à réaliser une œuvre commune. Pendant une longue année, entre 1984 et 1985, ils vont créer. Follement, sur un rythme quasi quotidien. Le résultat? Pas moins de 160 toiles peintes à quatre mains. Et aujourd’hui, c’est une première en France, plus de la moitié de ces peintures sont présentées à Paris dans les murs de la Fondation Louis Vuitton. C’est «Basquiat x Warhol à quatre mains». Une exposition événement.
Un jour de confidences, Basquiat s’est laissé aller à commenter cette collaboration : «Andy commençait la plupart des peintures. Il mettait quelque chose de très reconnaissable, le logo d’une marque par exemple, et d’une certaine façon, je le défigurais. Ensuite, j’essayais de le faire revenir, je voulais qu’il peigne encore». Propos complétés plus tard par Andy Warhol : «Je dessine d’abord, et ensuite je peins comme Jean-Michel. Je pense que les peintures que nous faisons ensemble sont meilleures quand on ne sait pas qui a fait quoi…». De cette amitié emplie de fulgurances surgiront des œuvres capitales, telle cette sculpture monumentale Ten Punching Bags (Last Supper), telle, encore, la toile de dix mètres African Mask.
Dans le catalogue de l’exposition dirigée par Dieter Bucchart et Anna Karina Hofbauer, on lit : «Basquiat admire Warhol comme un aîné, un personnage clé du monde de l’art, initiateur d’un langage inédit et d’un rapport original à la culture populaire. En retour, Warhol trouve chez Basquiat un intérêt renouvelé pour la peinture. Avec lui, il se remet à peindre manuellement, à très grande échelle. Les sujets de Warhol servent de structure à de véritables séries qui scandent le parcours». Finalement, une œuvre à quatre mains, c’est tout simple, même si, honte à elle, une plume dans le New York Times réduisit Basquiat au rôle de «mascotte» de Warhol.
L’exposition se conclut sur une œuvre monumentale jamais montrée du vivant des deux artistes, Ten Punching Bags, soit dix sacs de boxe suspendus et alignés qui révèlent leur approche de la mort : sur chacun des sacs, le visage du Christ inspiré de La Cène de Léonard de Vinci, dessiné par Warhol, qui était croyant, avec le mot Judge (juge) et une couronne d’épine, ajoutés par Basquiat. Andy Warhol est mort des suites d’une opération en 1987. Jean-Michel Basquiat l’a rejoint l’année suivante, à 27 ans.
«Basquiat x Warhol à quatre mains» Fondation Louis Vuitton – Paris. Jusqu’au 28 août.
Basquiat, une vie au milieu des sons new-yorkais
Dans l’atelier du jeune peintre, de la musique, encore et encore. Il peint avec frénésie, écoute avec bonheur la no wave, la cold wave, Madonna avec qui il a flirté, Debbie Harry (la chanteuse de Blondie) à qui il a vendu des tee-shirts et aussi des tableaux, des grandes compositions de la musique classique, du reggae, du jazz, Duke Ellington, Miles Davis… Et aussi, et surtout, Charlie Parker, son maître en musique, le génie du saxophone mort en 1955, à 34 ans.
Jean-Michel Basquiat ne peint pas seulement, il est membre d’un groupe expérimental nommé Gray – il en est le leader non parce qu’il est un brillant clarinettiste autodidacte, mais parce que, selon l’un des membres, le batteur Michael Holman, «on formait un groupe où personne ne pouvait être musicien. Chacun devait appréhender le son et les instruments selon une perspective innocente, pour aborder la musique avec ignorance». Et Basquiat de préciser : «On était portés sur le bruit. J’étais inspiré par les suites expérimentales de John Cage. Je jouais de la guitare avec une lime à métaux. C’était de la musique sans en être. Lacunaire, abrasive, étrangement belle».
C’est dans ce sens que la Philharmonie de Paris présente une exposition aux allures de BO de la vie de Jean-Michel Basquiat. Vincent Bessières, un des commissaires et codirecteur de l’impeccable catalogue Basquiat Soundtracks : «Pour lui, les jazzmen sont des espèces de grands ancêtres». Ainsi, il placera la figure noire de Charlie «Bird» Parker dans ses toiles (dont la célèbre King Zulu, 1986), sa façon de provoquer également la très blanche et conservatrice histoire de l’art.
Sur les murs, de nombreuses pièces signées Basquiat – dont quelques raretés, telle cette affiche de concert qu’il a dessinée à quinze ans et signée «Jean Basquiat», telle encore cette pochette pour un titre qu’il a produit pour son ami rappeur Rammellzee. Ou encore ce mur de polaroïds signés Maripol, styliste et amie, sur lesquels figurent Basquiat et Madonna. La déambulation dans la Philharmonie est enveloppée d’installations sonores qui vont de Mozart à Sugarhill Gang, ce groupe américain de hip-hop, genre Rap East Coast…
«Même dans sa peinture, il a une logique de sampling, commente Vincent Bessières. Il collait et assemblait ses photocopies dessinées dans ses toiles comme un DJ mixe des vinyles.» Un DJ qu’il fut au CBGB, club de New York considéré dans les années 1970 comme le «temple du rock underground new-yorkais». Le 12 août 1988, jour de sa mort, Jean-Michel Basquiat devait assister aux concerts des groupes de rap Run-DMC et Public Enemy. Décidément, la vie est SAMO, la signature qu’il utilisait à ses débuts pour ses graffitis sur les murs de New York et qui signifiait : «Same Old Shit». En quelque sorte, la signature du désespoir.
«Basquiat Soundtracks» Philharmonie – Paris. Jusqu’au 30 juillet.
Il est bien plus rapide que moi!