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Jazz : «Il y a toujours un Luxembourgeois qui est connu quelque part !»


Il aura seulement 21 ans dans quelques jours et, pourtant, on a l’impression qu’il a toujours été là : le trompettiste Daniel Migliosi a déjà deux albums à son actif (Left on Scene et On the Edge) et de multiples expériences dans ses bagages.

Bref, il grandit à une vitesse folle et se montre dès qu’il peut. On l’a ainsi vu samedi place Guillaume-II lors de la fête nationale, avec l’ONJL et Dee Dee Bridgewater.

On le verra aussi la semaine prochaine au festival Jazz à Vienne, accompagné de son quartette. Partagé entre le Luxembourg (où il est né) et l’Allemagne (où il a étudié et habite), le musicien incarne bien l’idée que pour exister et vivre du jazz au Grand-Duché, il faut voyager

Loin de donner des leçons, il se penche sur le cas de la scène nationale et de son pays, dont il faut s’affranchir pour mieux y revenir. Entretien.

Le 3 juillet, vous jouez au festival Jazz à Vienne. Est-ce l’un des concerts les plus importants de votre carrière ?

Daniel Migliosi : Non. Ça sonne peut-être un peu cliché, mais selon moi, chaque concert est important. Bien sûr, jouer à Vienne, ce n’est pas comme jouer avec la fanfare de Kayl, mais je ne serai pas plus préparé que ça. Disons que je prends les occasions comme elles viennent, et le plaisir suit.

Il y a cinq autres groupes et musiciens du Luxembourg qui seront aussi à Jazz à Vienne, et quelques jours plus tard, il y en aura cinq autres au festival de Jazz et de Blues d’Édimbourg. Est-ce que cela vous étonne ?

À cette fréquence et à cette quantité, oui. C’est certain, avoir autant de musiciens nationaux sur deux grands rendez-vous étalés sur trois petites semaines, c’est rare. Du coup, j’ai l’impression que tout le Luxembourg y est (il rit). En tout cas, c’est une grande chance pour tout le monde.

Selon vous, quelles sont les forces de cette scène nationale ?

Déjà, beaucoup de musiciens se forment à l’étranger, de New York à Amsterdam en passant par Bruxelles et tant d’autres villes. Outre la qualité de l’enseignement, on est plus facilement connectés avec le monde, sans oublier le multilinguisme propre au Luxembourg, qui est franchement un atout. Et une fois rentré au pays, chacun peut échanger les bons plans qu’il connaît. Les réseaux de chacun fusionnent. C’est porteur.

Et des faiblesses ?

Toujours la même : la petitesse du pays. Et à plusieurs niveaux : déjà, vous avez toujours les mêmes personnes qui jouent. Pour le public, ça peut être épuisant. Et pour la scène, ce sont toujours les mêmes que l’on retrouve. Ce qui fait qu’une partie du réservoir au Luxembourg n’est pas utilisée, ou est sous-utilisée. On a l’impression que le potentiel du pays se résume à une dizaine de figures, alors qu’il est plus grand. C’est dommage.

Cette scène nationale a-t-elle l’exposition qu’elle mérite ?

Ça, je ne sais pas, mais elle n’est pas inconnue. En Allemagne, en Belgique, en Angleterre… Il y a toujours un Luxembourgeois qui est connu quelque part! La dernière fois, je jouais à Bruxelles, et à la fin du concert, je discute avec un mec qui me dit : « Ah, tu viens du Luxembourg. Tu connais Pol Belardi? J’adore sa musique! »

Moi, sur le coup, je me marre, car Pol, c’est un bon copain. Et au pays, on se connaît tous. Du coup, c’est un peu comme s’il m’avait parlé de quelqu’un de ma famille (il rit).

Vous étiez en 2023 à Édimbourg dans le cadre du programme SPARK. Et vous avez également participé au Jazz-Up à Vienne. Qu’avez-vous appris de ces collaborations internationales ?

À Édimbourg, c’était la première fois que je voyageais seul. Je me retrouve alors avec le pianiste Pete Johnstone et son groupe. J’étais encore très jeune, je viens avec mes compositions et je m’imagine qu’ils vont me regarder en disant : « c’est quoi ça? ».

Heureusement, ce n’était pas le cas. J’ai alors pu montrer ma musique devant une salle pleine, avec d’autres musiciens. Ça m’a rassuré sur mes capacités. À l’inverse, à Vienne, dans ce qui était une sorte de workshop, je me suis retrouvé au milieu de gens qui n’avaient pas mon niveau.

Ça m’a parfois rendu fou… Moi qui aime que les choses soient carrées, j’ai finalement appris que l’on était tous là pour la même chose : la musique. C’est ce qui nous unit. J’y ai sûrement gagné en humilité.

Je ne l’ai jamais caché : je veux avoir un Grammy!

De quoi un musicien luxembourgeois a besoin aujourd’hui pour se vendre à l’étranger ?

Selon moi, et ça marche aussi pour le rock, le rap, le classique et tous les autres styles, un musicien doit être un humain curieux et cosmopolite. Ensuite, il ne doit pas avoir peur de se lancer, de se frotter à meilleur que lui.

Au départ, ça vous met peut-être dans une situation inconfortable, mais c’est comme ça que l’on apprend, que l’on grandit. C’est un état d’esprit, une manière de se dire que l’on peut réussir, et ne pas entretenir un sentiment d’infériorité qui dirait qu’il faut rester au pays, jouer uniquement au Liquid… Mieux : au Luxembourg, on peut être aidé financièrement pour certains projets. Qu’est-ce qu’il faut de plus? Si on n’ose pas, on ne va nulle part.

Si on n’ose pas, on ne va nulle part

Vous avez reçu le prix « Nouveau Talent » aux Musekspräisser en 2024. Est-ce que ça peut vous servir ?

(Il souffle) C’est sympa, ça fait plaisir, mais c’est anecdotique. Je ne dis pas que ce n’est rien de gagner un prix, mais c’est plus facile d’en gagner un au Luxembourg qu’en Allemagne ou en France.

La concurrence existe, mais elle est trop faible. Je pense même que par rapport à la taille du pays, il y a trop de récompenses. Au bout d’un moment, ça ne fera plus sens.

Que manque-t-il au Luxembourg pour mieux exister sur la carte du jazz européen ?

Un club! On a beaucoup de grandes scènes, mais il n’y a pas une place où tout le monde peut aller régulièrement écouter du jazz. On va me dire qu’il y a le Liquid, mais c’est un bar. Un club, ce n’est pas ça : c’est un lieu où l’on va d’abord pour la musique, et ensuite pour boire un coup.

Comme à Paris, il y a une notion de prestige derrière, de mode de vie. À Luxembourg-ville, il y a des touristes qui ne demanderaient que ça!

Si on regarde vos prochains concerts estivaux, vous faites régulièrement l’aller-retour entre l’étranger et le Luxembourg. Cet ancrage local est-il important ?

Bien sûr. Je suis luxembourgeois quand même! C’est important de s’y montrer, sans oublier que je joue encore avec mon père. Avec ma mère, ce sont eux qui me demandent le plus de revenir (il rit).

Honnêtement, j’aime être ici, profiter du moment, juste pour les amis, la famille et les bonnes vibrations.

Vivre à l’étranger, comme vous à Cologne, est-ce que c’est un bon moyen d’éviter le « confort » du Luxembourg ?

L’équation est simple : si vous ne faites rien, vous ne gagnez rien! Ce n’est pas comme au Luxembourg, où quand on a besoin d’un trompettiste, on va souvent penser à moi.

En même temps, on n’est que trois! À l’étranger, notamment en Allemagne, la concurrence est forte. Ce n’est pas quelque chose de mauvais : ça donne de la force, de l’énergie.

Au Luxembourg, certains musiciens deviennent enseignants et mettent parfois en retrait leur carrière musicale. Un tel choix serait-il un échec pour vous ?

Je ne vais pas dire oui, car si ça m’arrive, je vais avoir l’air malin! Mon grand rêve, c’est de vivre de ma musique, pas d’être riche. Après, dans la vie, c’est une question de calcul : si vous voulez une belle voiture et une maison, mais que vous jouez deux concerts par mois pour 500 euros, il faut soit une femme riche, soit revoir ses plans… et devenir professeur!

Quelles sont vos ambitions à l’internationale ?

Je ne l’ai jamais caché : je veux avoir un Grammy! Ce prix, c’est le prestige suprême. J’aimerais être une influence, un exemple. Être ce genre de musiciens auxquels les jeunes se réfèrent en se disant : « waouh, regarde lui! ».

Y a-t-il un endroit où vous rêvez de jouer ?

Sûrement le Hollywood Bowl ou le Blue Note à Tokyo. J’ai un ami qui joue de la batterie pour Jorja Smith. Il m’envoie des photos des stades dans lesquels il fait des concerts. C’est dingue! Ça me donne envie. Je lui dis souvent de me garder une place sur scène.